Vers un timide retour sur les campus cet automne

Enseignement en présence limité aux petits groupes, cours le samedi ou jusqu’à 22 h en semaine, classes hybrides avec présence une semaine sur trois : le retour sur les campus pour l’automne prochain, claironné par les universités québécoises, s’annonce tout de même limité dans la grande région de Montréal.
Selon ce que Le Devoir a appris, des scénarios qui circulent dans les universités montréalaises en vue de la rentrée d’automne inquiètent des professeurs. Ceux-ci déplorent le peu d’empressement à organiser un véritable retour en classe, malgré ce qu’ils considèrent comme l’urgence d’un coup de barre après une année d’enseignement à distance.
À l’Université de Montréal (UdeM), par exemple, des facultés ont annoncé aux enseignants que le retour à la normale, comme avant la pandémie, n’était pas envisagé avant janvier 2022. L’automne prochain, l’enseignement en présence sera réservé aux groupes de 50 étudiants et moins, en raison du nombre limité de locaux (l’occupation des salles de classe sera réduite de moitié).
Nos administrateurs pensent comme des bureaucrates. Ils parlent de limiter les risques, mais on devra sacrifier la qualité de notre enseignement pour un autre trimestre. Pour moi, c’est comme recevoir un coup de batte de baseball.
Des facultés prévoient un engorgement en matinée et en après-midi, de sorte qu’elles envisagent d’offrir davantage de cours les soirs de semaine, ainsi que le samedi. Une nouvelle formule « hybride avec rotation » est aussi évoquée : trois cours ayant une même plage horaire se partageraient un local, de sorte que les étudiants viendraient en classe une semaine sur trois — et seraient en enseignement à distance les deux autres semaines.
Urgence d’un retour
Stéphane Beaulac, professeur à la Faculté de droit de l’UdeM, est déçu par la timidité du plan de retour sur le campus annoncé par la direction. La population vulnérable aura été vaccinée à l’automne, le nombre d’infections est en baisse, mais « la plus grande partie des cours sera encore à distance. Ça n’a pas de sens », dit-il.
« Nos administrateurs pensent comme des bureaucrates. Ils parlent de limiter les risques, mais on devra sacrifier la qualité de notre enseignement pour un autre trimestre. Pour moi, c’est comme recevoir un coup de batte de baseball », ajoute-t-il.
Stéphane Beaulac dit comprendre la nécessité de l’enseignement à distance depuis que la pandémie a frappé, en mars 2020. Mais l’automne prochain, après une année et demie de restrictions sanitaires, il estime urgent de reprendre l’enseignement en classe. La santé mentale des étudiants et du personnel est en jeu, selon lui.
La qualité de l’éducation est aussi en cause. Le professeur estime livrer environ les deux tiers du programme habituel, à cause des limites des cours à distance. Les étudiants sont aussi privés du réseautage — avec les professeurs et les autres étudiants —, essentiel pour bâtir une carrière en droit, souligne Stéphane Beaulac.
« C’est un désastre »
Eric Buzzetti, professeur associé au Département de science politique de l’Université Concordia, redoute lui aussi un trimestre d’automne principalement virtuel. Il n’en revient pas que les écoles primaires et secondaires soient une « priorité » du gouvernement et restent ouvertes depuis septembre dernier, mais pas les cégeps ni les universités.
Le professeur déplore le manque de leadership du gouvernement Legault, qui semble à la remorque de la Santé publique en enseignement supérieur. « Honnêtement, l’enseignement en ligne, c’est un désastre. On nie le droit à l’éducation des étudiants », dit Eric Buzzetti.
Malgré la bonne volonté des enseignants et des étudiants, les cours à distance comportent d’importantes limites, selon lui. Plus préoccupant encore, l’isolement a « brisé l’âme des gens ». Eric Buzzetti n’en peut plus de voir ses étudiants se démener pour apprendre chacun chez soi, sans la chaleur des échanges, des discussions, des rencontres. Sans « l’expérience » universitaire.
Le professeur craint que les établissements profitent de la crise pour glisser vers une part croissante d’enseignement à distance, une formule susceptible d’entraîner des économies : pas de locaux à entretenir et un nombre quasi illimité d’étudiants pouvant suivre les cours à partir de leur salon.
Discussions sanitaires
Selon nos informations, des discussions ont lieu entre les représentants des cégeps, des universités, de la Santé publique et du ministère de l’Enseignement supérieur pour établir les balises de la rentrée d’automne. Au cabinet de la ministre Danielle McCann, on dit souhaiter la plus grande présence possible sur les campus dans le respect des directives de la Santé publique. Les établissements jouissent d’autonomie pour déterminer leurs propres politiques, souligne-t-on. La ministre a décliné la demande d’entrevue du Devoir.
Pierre Cossette, recteur de l’Université de Sherbrooke (UdeS) et président du Bureau de coopération interuniversitaire (BCI), reconnaît que les établissements doivent annoncer rapidement leurs intentions, parce que la session d’automne s’organise dès maintenant. Les étudiants, entre autres ceux de pays étrangers, doivent aussi savoir au plus vite s’ils loueront un appartement au Québec.
L’UdeS dit espérer une session d’automne « essentiellement en présence ». « La vaccination va changer la donne », souligne Pierre Cossette.
À Sherbrooke, le cégep et l’université ont été parmi les premiers établissements du Québec à offrir un seuil minimal d’enseignement en présence. Le collège Lionel-Groulx, à Sainte-Thérèse, est aussi parmi les plus dynamiques en cette matière.
Pour ramener les étudiants en classe au moins une journée par semaine, ces établissements ont été proactifs : ils ont rivalisé d’ingéniosité pour proposer à leur direction régionale de santé publique des scénarios de présence qui respectent la distanciation. L’UdeS a loué des espaces dans des couvents, des églises et d’autres locaux, en plus d’offrir des cours en plein air lors des beaux jours d’automne.
Ce retour sur les campus se fait généralement sur une base volontaire. Les étudiants et le personnel à risque d’infection pour des raisons médicales peuvent étudier ou travailler à distance.