La francophonie d’un océan à l’autre

En milieu minoritaire, on doit constamment se battre. Il faut avoir le feu au ventre », dit Pierre-Yves Mocquais, doyen du Campus Saint-Jean, à Edmonton, et coprésident de l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC). Institutions phares dans des communautés souvent archiminoritaires, les 22 établissements membres de l’ACUFC forment un groupe très hétérogène, pour ne pas dire un peu décousu, qui mêle universités et collèges, établissements entièrement francophones ou bilingues au statut très variable.
La demi-douzaine d’universités entièrement francophones sont plutôt petites. Mis à part Moncton, qui compte 4400 étudiants, les cinq autres universités et campus francophones de l’Alberta, du Manitoba, de l’Ontario et de Nouvelle-Écosse ont la taille d’une école — de 208 étudiants pour l’Université de Hearst, en Ontario, à 1400 pour l’Université de Saint-Boniface, au Manitoba.
La plupart de ces universités sont d’anciens collèges qui sont montés en grade. La fondation de Saint-Boniface, qui a le statut universitaire depuis 2011, remonte à 1818. Une histoire qui se reflète dans le patrimoine : l’église en bois de l’Université Sainte-Anne, la plus grande du genre sur le continent, est un petit joyau architectural.
Un rôle social fort
Ces établissements ont joué un rôle majeur dans la survie culturelle des communautés francophones des autres provinces. « Nous avons été les précurseurs du système éducatif francophone », raconte Allister Surette, recteur de l’Université Sainte-Anne. Alors que les pères eudistes ont créé ce collège en 1890, devenu université en 1977, ce n’est qu’en 1992 que le gouvernement néo-écossais a créé les collèges communautaires francophones, puis les conseils scolaires en 1996, explique l’ancien ministre des Ressources humaines et des Affaires acadiennes de Nouvelle-Écosse. « Mes enfants sont allés à l’école française acadienne, mais moi, j’ai fait toute ma scolarité en anglais, du primaire à l’Université. »
Tous les établissements de l’ACUFC jouent un rôle social fort. On ne compte plus les Franco-Albertains qui ont célébré leur mariage au Campus Saint-Jean, pierre angulaire du quartier francophone d’Edmonton. « L’éducation est centrale dans le mandat de presque tous les établissements francophones », dit Sophie Bouffard, rectrice de l’Université Saint-Boniface. « Ce n’est pas étranger au fameux article 23 de la Charte, qui oblige toutes les provinces à offrir l’éducation dans la langue de la minorité. »
Pierre-Yves Mocquais est d’avis que le rôle fondamental des établissements membres de l’ACUFC va très au-delà de la formation d’enseignants et de jeunes professionnels. « Ça touche en fait à l’idée même d’un Canada bilingue », dit-il. Quand le Collège Saint-Jean a intégré l’Université de l’Alberta il y a plus de 40 ans, la plupart des étudiants étaient des Franco-Albertains. Maintenant, les deux tiers sont des anglophones issus de l’immersion française. « Il existe un engagement très fort pour le français dans un segment francophile de la communauté anglophone. À mon avis, nous avons un gros rôle à jouer pour bâtir là-dessus. »
Les minorités francophones hors Québec ne reçoivent pas leur part des investissements fédéraux, et encore moins leur part des Instituts de recherche en santé du Canada
Toujours un peu à part
Mis à part l’Ontario, qui regroupe la moitié des membres de l’ACUFC, ceux-ci sont souvent bien seuls dans leur province. « On est toujours un peu à part des autres. Nos liens avec le gouvernement ne sont pas aussi fluides », dit Allister Surette. « J’ai plus en commun avec Saint-Boniface ou Hearst qu’avec les autres universités de Nouvelle-Écosse. »
Témoin de leur ancrage communautaire, les universités francophones assument de plus en plus des fonctions de recherche — dans le domaine des pêcheset de l’agriculture du côté de Sainte-Anne, en microbiologie du côté de Saint-Boniface, en sciences politiques et en histoire au Campus Saint-Jean d’Edmonton.
Denis Prud’homme, le nouveau recteur de l’Université de Moncton, est lui-même un Québécois qui a travaillé 20 ans au sein de l’Université d’Ottawa et de l’hôpital Montfort. « Cette expérience ontarienne m’a éveillé à ce que ça représente comme barrière. Les minorités francophones hors Québec ne reçoivent pas leur part des investissements fédéraux, et encore moins leur part des Instituts de recherche en santé du Canada. »
« Les fonds de recherche ont malheureusement tendance à nous oublier, déplore Pierre-Yves Mocquais. Sans vouloir être méchant avec les Québécois, ils sont nombreux dans les comités d’adjudication, et leur réaction est souvent : “C’est quoi, ça, Saint-Jean ?” »
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