La pandémie, ou quand la goutte fait déborder le vase

Jean-François Venne
Collaboration spéciale
Un enseignant peignait des marqueurs dans la cour d’une école primaire pour faciliter la distanciation physique des élèves, en août dernier.
Paul Chiasson La Presse canadienne Un enseignant peignait des marqueurs dans la cour d’une école primaire pour faciliter la distanciation physique des élèves, en août dernier.

Ce texte fait partie du cahier spécial Semaine des enseignants

La pandémie a frappé de plein fouet un réseau de l’éducation québécois déjà plombé par des pénuries d’enseignants et de professionnels, des classes surchargées et complexes et de nombreux établissements en mauvais état.

« Le stress, la fatigue et la détresse psychologique affectaient les enseignants, et voilà qu’est venue s’ajouter la peur d’une maladie potentiellement mortelle », déplore Sylvain Mallette, président de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), qui représente le tiers des enseignants du Québec.

L’effet n’a pas atteint que le réseau public, mais aussi les écoles privées, confirme David Bowles, président de la Fédération des établissements d’enseignement privés (FEEP). « La pandémie génère de l’anxiété, du stress et de la fatigue, c’est sûr, admet-il. En plus de leurs tâches habituelles, les enseignants doivent se soucier de leur santé et de celle de leurs élèves, gérer des mesures sanitaires complexes, surveiller l’apparition de symptômes et apprendre à enseigner à distance ou en bimodal. »

Selon Sylvain Mallette, le gouvernement a commis deux impairs dès le départ. L’incohérence du message sur les moyens de protection — notamment quant aux masques, devenus essentiels après avoir été qualifiés de peu utiles en début de crise, à la transmission du virus par aérosol et à la ventilation des écoles — aurait augmenté le sentiment d’insécurité chez les enseignants.

La FAE dénonce aussi la décision de continuer à enseigner la totalité du programme pendant la pandémie. En janvier, le gouvernement a reculé sur ce point, réduisant le programme pédagogique aux savoirs essentiels. « Mais la moitié de l’année est déjà passée, c’est très tard pour un changement de cap », déplore M. Mallette, qui regrette surtout le manque de transparence du gouvernement.

Son syndicat a d’ailleurs déposé en septembre un recours à la Cour supérieure pour obtenir les documents dont le gouvernement s’était servi pour établir le plan de la rentrée, fortement contesté par la FAE. « Ce que nous souhaitons de la part du gouvernement en 2021, c’est plus de transparence et de cohérence », ajoute le syndicaliste.

L’étudiant invisible

Les établissements d’enseignement supérieur ont aussi accusé le coup. Entre le 21 septembre et le 12 octobre 2020, des syndicats affiliés à la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ-CSN) ont sondé 2429 enseignants de niveau collégial. En raison de la pandémie, 55 % d’entre eux enseignaient principalement à distance et 33 % en mode hybride. Conséquence : les deux tiers estimaient consacrer au moins deux fois plus de temps que d’habitude à la préparation des cours. Le temps d’encadrement des étudiants avait au moins doublé pour la moitié d’entre eux et quatre sur dix accordaient au moins deux fois plus de temps aux corrections.

Plus inquiétant, le sondage révèle qu’un professeur de cégep sur cinq montre un niveau de détresse élevé sur l’échelle de détresse psychologique de Kessler. « L’enseignement à distance existait déjà avant, mais dans des cours qui étaient préparés pour ça, alors que là, tout le monde a improvisé dans l’urgence, et cela crée de grandes surcharges de travail », souligne la présidente de la FNEEQ, Caroline Quesnel. La situation a été encore plus compliquée pour les professeurs qui devaient enseigner à distance tout en s’occupant de leurs enfants confinés à la maison. Notons que 64 % des répondants au sondage de la FNEEQ étaient des femmes.

20 %

C’est le pourcentage de professeurs au collégial qui montrent un niveau de détresse élevé sur l’échelle de détresse psychologique de Kessler, selon un sondage réalisé à l’automne dernier.

Plusieurs professeurs et chargés de cours en enseignement supérieur ont aussi ressenti de l’inconfort ou de la frustration face à des étudiants qui n’étaient pas obligés d’activer leur caméra. Impossible de savoir s’ils suivent vraiment le cours ou comment ils réagissent aux propos énoncés. La Fédération des cégeps a transmis aux établissements un avis juridique selon lequel le professeur n’a pas l’autorité pour exiger l’ouverture des caméras des élèves, notamment pour des questions de respect de la vie privée.

« Nous demandons que cette directive soit changée, quitte à fournir des espaces sécuritaires dans les établissements où certains élèves pourront venir s’installer, s’ils ne souhaitent pas utiliser leur caméra chez eux », affirme Caroline Quesnel. Plus largement, elle croit nécessaire d’analyser l’effet de l’enseignement à distance tant sur les professeurs que sur les étudiants. La FNEEQ travaille à un projet de recherche sur ce sujet avec le service aux collectivités de l’Université du Québec à Montréal.

Des problèmes qui ne datent pas d’hier

La pandémie ne doit toutefois pas devenir un bouc émissaire pour tout. « Ça fait des années que l’on dénonce une pénurie d’enseignants et de professionnels, et que les jeunes enseignants quittent la profession en grand nombre peu de temps après y être entrés », rappelle Catherine Beauvais-St-Pierre, présidente de l’Alliance des professeures et professeurs de Montréal, un syndicat affilié à la FAE.

À Montréal, les enseignants sont souvent confrontés à des classes surchargées et très hétérogènes, dans lesquelles on trouve beaucoup d’élèves en difficulté. Les ressources manquent pour répondre à tous les besoins. « Conscients qu’ils ne peuvent fournir l’aide approprié à tous les élèves, les enseignants ont l’impression d’en laisser tomber certains et de vivre plus de défaites que de victoires ; ça devient très frustrant et à la longue ça génère de la détresse », déplore Catherine Beauvais-St-Pierre.

En janvier 2020, le Centre de services scolaire de Montréal publiait une liste de 40 métiers en pénurie ou en difficulté de recrutement, parmi lesquels on trouvait notamment les psychologues, les psychoéducateurs, les orthophonistes et les techniciens en éducation spécialisée. Une situation présente dans la plupart des régions du Québec, la pénurie de main-d’œuvre et de professionnels entraînant une hausse des invalidités liées à des problèmes de santé mentale et du nombre d’enseignants qui quittent la profession. « Or, cela augmente encore la charge de travail de ceux qui restent et contribue à leur épuisement », souligne Josée Scalabrini, présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement.

Catherine Beauvais-St-Pierre rappelle que les gouvernements qualifient toujours l’éducation de priorité. « Pourtant, il n’y a jamais d’argent quand vient le temps d’investir, déplore-t-elle. Que ferons-nous quand il n’y aura plus assez d’enseignants ? Il faut d’urgence travailler à revaloriser ce métier et investir pour améliorer les conditions de travail. » 

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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