«On joue avec le feu en ouvrant les écoles»

À l’école Saint-Pierre-Claver, à Montréal, le virus a forcé 78 enfants et membres du personnel infectés — et un nombre indéterminé de leurs proches — à se placer en isolement durant une partie du congé des Fêtes.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir À l’école Saint-Pierre-Claver, à Montréal, le virus a forcé 78 enfants et membres du personnel infectés — et un nombre indéterminé de leurs proches — à se placer en isolement durant une partie du congé des Fêtes.

Le retour en classe dans les écoles primaires, après une pause des Fêtes prolongée d’une semaine, s’est fait lundi dans un mélange de joie et d’anxiété. Le stress était encore plus grand à l’école Saint-Pierre-Claver, sur le Plateau-Mont-Royal : les élèves et le personnel revenaient en classe après une importante éclosion ayant mené à 78 infections au coronavirus, tout juste avant Noël.

Lundi matin, les enfants arrivaient en portant le couvre-visage, désormais obligatoire dans les aires communes des écoles pour tous les élèves du primaire. Ceux de cinquième et sixième année doivent aussi porter le masque en classe.

 

À l’école Saint-Pierre-Claver, le virus a forcé 78 enfants et membres du personnel infectés — et un nombre indéterminé de leurs proches — à se placer en isolement durant une partie du congé des Fêtes. Selon ce que Le Devoir a appris, le virus s’est infiltré dans l’école par « plusieurs portes » sur une période de deux semaines, en décembre.

Un courriel de la directrice de l’établissement, envoyé vendredi dernier aux parents, expose la mécanique implacable de l’éclosion. La transmission communautaire, le mélange des bulles au service de garde et le personnel scolaire qui est en contact avec plusieurs bulles ont contribué à répandre le virus dans cette école de 464 élèves.

Durant la semaine du 7 décembre, plusieurs élèves et membres du personnel ont d’abord été infectés dans la communauté, puis ont ramené le virus à l’école. « Finalement, la journée pédagogique du 10 décembre a contribué à la contagion […] puisque, malgré notre souci de maintenir le plus possible les bulles stables, il est impossible d’attribuer autant d’éducateurs [que] nécessaire au nombre total de groupes », ajoute le message de la directrice.

L’école dispose de 18 éducateurs et de 2 surveillants de dîner pour 24 groupes. C’est pourquoi le mélange des bulles est inévitable. La directrice a suggéré que les élèves de cinquième et de sixième année « fréquentent le moins possible le service de garde et les journées pédagogiques », pour limiter les risques de contagion.

Les services de garde doivent respecter « dans la mesure du possible » le principe du groupe-classe stable, rappelle Alain Perron, porte-parole du Centre de services scolaire de Montréal. « Lorsque ce n’est pas le cas, un maximum de deux groupes-classes stables différents seront dans le même local tout en assurant le maintien d’une distance de deux mètres entre les élèves des deux groupes-classes. »

Tous les parents interrogés par Le Devoir ont eu de bons mots pour la directrice de l’école Saint-Pierre-Claver, Élisenda Tomas, décrite comme une gestionnaire hors pair. « Ce qui est arrivé à notre école aurait pu arriver n’importe où. Le problème, c’est que la transmission communautaire est plus active qu’en septembre dernier. On joue avec le feu en ouvrant les écoles », dit Marie-Michelle Bellon, mère d’une élève de cette école primaire.

La ventilation montrée du doigt

 

La Dre Bellon fait partie du collectif COVID-STOP, qui réclame des mesures beaucoup plus strictes pour freiner la pandémie. Cette mère, spécialiste en médecine interne, travaille occasionnellement en zone COVID d’un hôpital montréalais. Ce qui la dérange, c’est le peu de préoccupation des autorités de santé publique et du gouvernement Legault pour la ventilation des classes.

« Ce n’est pas compliqué, c’est dans l’air que le virus s’attrape, dit-elle. On n’est pas en sécurité dans des espaces clos mal ventilés, même si on est à plus de deux mètres les uns des autres. Je ne suis pas contaminée au travail, tandis que j’ai des collègues en CHSLD qui sont infectés. Je suis sûre que c’est grâce à la ventilation. Si on a compris ça pour la zone COVID en hôpital, pourquoi est-ce qu’on n’applique pas cela partout ailleurs, y compris dans les écoles ? »

Les enseignants craignent aussi la mauvaise ventilation des classes malgré le rapport qui se veut rassurant déposé vendredi dernier par le ministère de l’Éducation à ce sujet, souligne Catherine Beauvais St-Pierre, présidente de l’Alliance des professeures et des professeurs de Montréal.

« Les profs ne sont pas rassurés », dit-elle. La représentante des enseignants rappelle que le concept de bulle-classe ne résiste pas à la réalité et que la distanciation est quasi impossible tant dans les écoles primaires (à cause du manque de maturité de certains jeunes) que dans les écoles secondaires (à cause du manque d’espace).

Un virus à redouter

Josiane Cossette, présidente du conseil d’établissement de l’école Saint-Pierre-Claver (et collaboratrice invitée à la section Opinion du Devoir), blâme le gouvernement Legault pour l’éclosion à son école. Elle et sa fille ont été infectées. La mère a presque perdu l’odorat et a souffert de violents maux de tête et de grande fatigue durant le temps des Fêtes. Elle estime elle aussi que le ministère de l’Éducation ne prend pas le virus suffisamment au sérieux.

Selon elle, les écoles ont besoin de détecteurs de CO2, de purificateurs d’air à filtre HEPA et d’éducateurs à l’enfance en plus grand nombre, pour éviter de mélanger les bulles-classes. Elle souhaite que les familles puissent opter pour l’enseignement à distance sans exemption médicale, que les enfants du primaire portent le masque en classe dès la quatrième année, comme en Ontario, et que les frères et sœurs d’élèves dont la classe est fermée soient aussi placés en isolement.

Elle recommande aussi que tous les proches contaminés par des élèves eux-mêmes infectés soient comptés dans les statistiques d’infection en milieu scolaire, pour donner un portrait plus juste du rôle des écoles dans la transmission du virus.

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