Guérir en revenant à ses racines autochtones

Leïla Jolin-Dahel Collaboration spéciale
Les recherches d’Alex Cheezo visent à aider  les hommes de sa communauté à mieux comprendre les conséquences de la colonisation et à guérir par des approches traditionnelles, comme les cercles de partage, les huttes de sudation  et les jeûnes.
Mathieu Dupuis Les recherches d’Alex Cheezo visent à aider les hommes de sa communauté à mieux comprendre les conséquences de la colonisation et à guérir par des approches traditionnelles, comme les cercles de partage, les huttes de sudation et les jeûnes.

Ce texte fait partie du cahier spécial Enseignement supérieur

Après avoir longtemps eu le sentiment d’avoir perdu son identité, l’Anichinabé Alex Cheezo a décidé de retourner aux études pour aider les siens. Portrait de celui qui, à 61 ans, est devenu le premier membre de sa communauté à terminer une formation de deuxième cycle universitaire, une maîtrise en travail social, à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT).

C'est en juillet dernier qu’Alex Cheezo a déposé son essai Vers la fierté anishnabe, qui porte sur le processus de guérison par la reconnaissance et la valorisation de sa culture. Ses recherches visent à aider les hommes de sa communauté à mieux comprendre les conséquences de la colonisation et à guérir par des approches traditionnelles, comme les cercles de partage, les huttes de sudation et les jeûnes.

Avec fierté, il admet que son parcours n’a pas été facile pour se rendre jusque-là. « Combien de fois, durant ma rédaction, je me suis dit : “Je lâche ça”. J’ai failli abandonner quelques fois », avoue-t-il, ajoutant que c’est le fait de se reconnecter avec ses origines et son sentiment de pouvoir venir en aide aux jeunes qui l’ont motivé à continuer.

Le diplômé a auparavant travaillé plusieurs années en tant que traducteur entre les intervenants allochtones et sa communauté. « C’est comme ça que je me suis mis à aimer aider les gens », explique-t-il.

Alex Cheezo a d’ailleurs lui-même connu des moments plus sombres au cours de sa vie. À l’âge de 7 ans, il a vécu la réalité des pensionnats autochtones, à celui de Saint-Marc-de-Figuery, près d’Amos. À son retour dans sa communauté en 1970, il raconte ensuite avoir vécu une adolescence « difficile ». « J’allais à l’école à Val-d’Or. Là-bas, on me disait “le sauvage, retourne chez vous”. Quand je retournais chez les miens, ils me disaient que j’étais devenu un Blanc », se souvient-il.

Il a également dû faire face à des problèmes d’alcool et de drogue. Après avoir entrepris une thérapie par des cérémonies traditionnelles anichinabées de guérison, il a pu prendre le dessus sur ses dépendances. Et c’est à ce moment qu’il a décidé d’entamer, à 38 ans, des études au baccalauréat en travail social à l’UQAT.

L’importance de croire en soi

Aux membres de sa communauté qui désirent suivre sa trace, Alex Cheezo conseille de renouer avec leur culture, de croire en eux-mêmes et de persévérer malgré les embûches.

 

Stéphane Grenier, qui a enseigné à Alex Cheezo durant sa maîtrise et qui est également président de l’Association canadienne pour la formation en travail social, abonde en ce sens. « Ils arrivent souvent blessés du fait d’être autochtones. Ils portent le poids d’une violence qu’ils exercent envers eux-mêmes sans le savoir », constate-t-il.

J’allais à l’école à Val-d’Or. Là-bas, on me disait “le sauvage, retourne chez vous”. Quand je retournais chez les miens, ils me disaient que j’étais devenu un Blanc.

 

Le professeur observe d’ailleurs que la population autochtone est « excessivement » sous-représentée sur les bancs des universités et que la plupart des étudiants autochtones auxquels il enseigne sont souvent les premiers de leur famille, voire de leur communauté. « Alex, il n’y avait personne qui avait fait une maîtrise autour de lui », souligne-t-il.

Pour l’année scolaire 2019-2020, l’UQAT comptait 133 étudiants autochtones inscrits sur plusieurs milliers. Depuis sa fondation, l’université a remis un diplôme à près de 1200 membres des Premières Nations.

Le professeur explique que l’UQAT travaille d’arrache-pied non seulement pour inciter les jeunes à entamer des études supérieures, mais également à former la population générale aux réalités autochtones. « C’est en leur donnant ces formations-là qu’on va concevoir les Autochtones comme étant des employés potentiels. Je le vois, dans les dix dernières années, à Val-d’Or, ça a beaucoup changé. On a de plus en plus d’Autochtones dans les services publics, et ça, c’est bien », constate-t-il.

Alex Cheezo estime que le fait qu’il ait terminé sa maîtrise est encourageant pour les adolescents de sa communauté. « Il y a beaucoup de jeunes, maintenant, qui sont en études postsecondaires », observe-t-il, ajoutant que deux de ses nièces étudient actuellement au cégep.

Il continue par ailleurs son travail au centre de santé de Lac-Simon, auprès des proches de femmes et de filles autochtones disparues ou assassinées. Le fait qu’il soit lui-même Anichinabé lui permet selon lui de comprendre plus facilement les réalités de sa communauté. « Je n’ai pas besoin de faire tous les grands pas comme les intervenants qui viennent de l’extérieur et qui ne connaissent pas l’histoire et le vécu des personnes », constate-t-il.

Le diplômé donne également un conseil simple à ceux qui aimeraient mieux connaître les réalités anishnabe : écouter. « Des fois, c’est long, mais c’est là où j’en apprends beaucoup sur les difficultés qu’ils vivent », reconnaît-il.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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