Pénurie de professeurs et d'éducatrices: une équation insoluble pour la rentrée
En plus de composer avec une importante pénurie de professeurs, qui s’étend désormais à tout le Québec, les écoles se retrouvent devant un grave manque d’éducatrices de service de garde, un phénomène qui connaît cette année une ampleur inégalée, selon la Fédération québécoise des directions d’école (FQDE).
« Je ne veux pas être alarmiste, mais, ce que j’entends, c’est que, dans plusieurs centres de services, il n’y a personne dans les services de garde », affirme le président de la FQDE, Nicolas Prévost.
Au bout du fil, il consulte les dernières données que les centres de services affiliés lui ont fait parvenir ces derniers jours. « Il en manque 50 dans Lanaudière, 20 ici, encore 10 là… Si je calcule rapidement, c’est près de 200 éducatrices en service de garde qui manquent à l’appel. »
Et cela n’inclut même pas les centres de services de la région de Montréal, qui ne sont pas affiliés à la fédération.
Je ne veux pas être alarmiste, mais, ce que j’entends, c’est que, dans plusieurs centres de services, il n’y a personne dans les services de garde
Dans les années précédentes, les directions d’école arrivaient généralement à combler les trous dans les services de garde scolaires, dit-il. C’était parfois juste, mais on y arrivait. « Il manquait déjà quelques éducatrices de service de garde, mais ce n’était pas aussi dramatique que ce qu’on peut voir cette année. Cette année, c’est vraiment le corps d’emploi où on voit la plus grande différence. »
Du personnel « non légalement qualifié »
Nicolas Prévost n’arrive pas à comprendre ce qui s’est passé dans les services de garde. Bien sûr, tous les secteurs d’emplois en milieu scolaire sont en déficit cette année, mais pourquoi une telle différence chez les éducatrices en service de garde ? Il émet l’hypothèse que plusieurs éducatrices de services de garde ont été embauchées comme professeurs, une façon de faire bien connue dans le milieu.
« Beaucoup d’éducatrices nous donnent leur nom pour faire de la suppléance dans les classes. Elles sont non légalement qualifiées, mais on fait souvent appel à elles parce qu’elles connaissent déjà nos milieux, le personnel et les élèves et qu’elles ont, par la bande, une certaine facilité sur le plan de la gestion. Ce n’est pas scientifique, mais j’en déduis que, cette année, comme il manque beaucoup d’enseignants, on s’est tourné vers les éducatrices en service de garde pour prêter main-forte dans les classes et qu’on se retrouve sans éducatrices. On s’habille quelque part et on se déshabille ailleurs. »
Au nombre de messages qu’elle voit passer sur Facebook pour recruter du personnel, Diane Miron, la directrice générale de l’Association québécoise de garde scolaire (AQGC), croit elle aussi que l’ampleur de la pénurie est possiblement plus grande cette année, mais elle n’a pas de statistiques pour appuyer ses constats.
À Montréal, le président de l’Association professionnelle du personnel administratif (APPA), Michel Picard, s’inquiète également du manque d’éducatrices et de surveillantes en service de garde. Selon lui, c’est surtout la pause du dîner qui risque d’être difficile, car bon nombre de surveillantes du dîner ont plus de 70 ans et seront donc exemptées de travailler en raison de la pandémie.
Pénurie de professeurs
Les éducatrices ne seront pas les seules personnes non légalement qualifiées à venir remplacer des professeurs. Plusieurs détenteurs de baccalauréat, qui n’ont toutefois pas de formation en pédagogie, garnissent les listes de suppléants. « Ces gens-là ont tous été appelés », explique Nicolas Prévost, de la Fédération québécoise des directions d’école.
Car la pénurie d’enseignants s’est encore aggravée cette année. Selon la FQDE, il manquait, en date de vendredi dernier, 461 enseignants à l’extérieur de Montréal, notamment dans Lanaudière, Laval et l’Outaouais, de même que sur la Côte-Nord, la Gaspésie, l’Abitibi et les Laurentides. « La pénurie semble se généraliser à travers le Québec », constate-t-il.
Le centre de service scolaire de Montréal n’a pas répondu aux questions du Devoir, mais Le Journal de Montréal rapportait mardi que 500 postes d’enseignants y étaient à combler.
Toutefois, la situation s’améliore de jour en jour et d’heure en heure, affirme Nicolas Prévost. « Je suis quand même assez optimiste qu’on va avoir l’ensemble de notre personnel pour la rentrée, mais on aura épuisé toutes nos ressources et nos options. Et il ne faudra pas qu’en cours de route on perde trop de joueurs parce que là, ça pourrait devenir inquiétant… »
Classes sans titulaire
Malgré tous les efforts déployés pour aller chercher du personnel, il sera difficile d’éviter les suppléances à répétition, un phénomène bien connu depuis plusieurs années à Montréal. « Il y aura quelqu’un [devant chaque classe] pour la rentrée, mais, malheureusement, on va se retrouver avec des cas où il y aura des changements à faire dans les prochaines semaines dans certaines classes, se désole Nicolas Prévost. Je ne veux pas insécuriser les parents, mais, en même temps, il faut être réaliste et se dire que ces situations-là vont arriver. On va tout faire pour ne pas que ça arrive, mais ça va arriver. »
À la Fédération autonome des enseignants (FAE), on est aussi convaincu que des élèves vont malheureusement se retrouver dans des classes sans titulaire, avec les remplacements à répétition que cela implique. « C’est une inquiétude réelle », affirme son président, Sylvain Mallette. Ce dernier demande au ministre de s’attaquer aux sources de la pénurie, à savoir les raisons pour lesquelles les jeunes enseignants s’en vont de manière précipitée en début de carrière.
Même son de cloche du côté de la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE). « Il n’y a aucune surprise dans cette situation [de pénurie de professeurs], ça fait des années qu’on dit qu’il faut valoriser et donner le goût aux jeunes de venir vers cette profession, une des plus belles professions du monde à nos yeux ! », répond d’emblée la présidente, Josée Scalabrini.
« On était déjà en pénurie l’an dernier. Et depuis trois ans, on voit des listes qui se vident. À l’automne, une fois qu’on aura attribué les postes, il ne restera personne pour assumer les suppléances. »
Selon elle, il faut s’assurer de bien accompagner les enseignants non légalement qualifiés qui vont entrer dans le réseau, et ce, « pour ne pas les faire fuir » en cours d’année.