Les services de garde scolaires laissés à eux-mêmes

Isabelle Boileau espère du beau temps cet automne : ses élèves passeraient un peu de temps dans la cour d’école. En cas de pluie, les jeunes resteront assis derrière leur pupitre la plus grande partie de la journée. Pas le choix : ils doivent rester « lorsque possible » en tout temps dans le même groupe pour éviter de propager le coronavirus et limiter le nombre de personnes à isoler en cas d’éclosion.
« Une rentrée scolaire, c’est toujours un défi en soi. Mais un défi comme cette année, je n’ai jamais vu ça », dit Isabelle Boileau, responsable du service de garde de l’école primaire Aux-Quatre-Vents, à Sainte-Julie, sur la Rive-Sud. Elle a près de 30 ans d’expérience.
Les 1900 services de garde d’école primaire du Québec ont l’impression d’être dans l’angle mort de la rentrée qui s’annonce. Les directives du ministère de l’Éducation pour accueillir les enfants de manière sécuritaire tiennent en six paragraphes.
En gros, les services de garde scolaires doivent désinfecter les locaux et les objets. Envoyer les enfants jouer dehors (quand il fait beau). Suivre les règles de la Santé publique. Et « privilégier, lorsque possible, le regroupement des élèves selon les groupes-classes ».
« Ces consignes doivent être adaptées en fonction de la réalité de chacun des milieux », précise le ministère.
Autrement dit : « Débrouillez-vous. » C’est comme ça que les services de garde interprètent les consignes du ministère. Et ils se débrouillent. Après tout, c’est leur responsabilité. Mais les 1001 façons d’interpréter les directives leur donnent des maux de tête.
« Éloigne-toi ! »
« Je dois maintenir les groupes-bulles si possible. Mais si ce n’est pas possible, je fais quoi ? » dit Isabelle Boileau. Elle réfléchit depuis plusieurs semaines à l’organisation des services de garde pour les 358 enfants sous sa responsabilité.
C’est tout un casse-tête : normalement, les groupes de services de garde sont formés d’enfants de plusieurs classes. Isabelle Boileau doit s’assurer que les enfants n’approchent jamais à moins d’un mètre des enfants d’autres classes — et à moins de deux mètres du personnel de l’école, sauf si cet adulte porte un masque.
Compliqué ? Imaginez en surveillant 20 petits monstres qui courent partout après avoir passé la journée assis à leur pupitre ! Une des phrases les plus entendues dans les services de garde scolaires au printemps dernier : « Éloigne-toi ! Éloigne-toi ! », raconte Isabelle Boileau.
Les enfants seront accueillis le matin dans la cour d’école si le temps le permet, ou confinés à leur local en cas de pluie. À l’école Aux-Quatre-Vents, six éducatrices circuleront dans les corridors, avant que la cloche sonne le début des classes à 8 h 15, pour surveiller les enfants répartis dans les 19 locaux. Les repas du midi se prendront dans la classe. Les activités de fin de journée prendront place dehors ou dans un local.
L’incertitude entourant l’organisation des services de garde scolaires inquiète les parents ; 23 enfants de l’école Aux-Quatre-Vents ont été retirés de la liste d’inscription du service depuis la semaine dernière.
« Ma conjointe et moi sommes en télétravail, on a décidé de se passer du service de garde scolaire cet automne », dit un père de famille de la Rive-Sud (dont les enfants fréquentent une autre école qu’Aux-Quatre-Vents) qui a demandé à garder l’anonymat. Il préfère « stresser pour concilier le travail et la famille plutôt que pour la sécurité des enfants ».
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Les responsables des services de garde craignent par-dessus tout qu’une éclosion de coronavirus survienne parmi les enfants et le personnel sous leur responsabilité. « Si les enfants se mélangent, on a peur que la contamination se répande rapidement », dit Annie Charland, présidente du secteur scolaire à la Fédération des employées et employés des services publics (FEESP-CSN).
Lors du printemps, les services de garde scolaires ont accueilli pratiquement deux fois moins d’enfants que le ratio habituel de 20 jeunes pour une éducatrice, rappelle-t-elle. Cette fois, le défi est plus grand, avec une rentrée pour tous et la pénurie de personnel et de locaux qui sévit à des degrés divers au Québec, souligne Annie Charland.
Il reste aussi à voir combien d’éducatrices devront rester à la maison pour des raisons médicales. D’autres ont quitté le métier à cause des conditions de travail peu attrayantes — et du peu de reconnaissance du gouvernement —, ajoute Éric Pronovost, président de la Fédération du personnel de soutien scolaire (FPSS-CSQ).
Plusieurs éducatrices travaillent à peine 10 heures ou 15 heures par semaine, avec des horaires brisés — elles doivent se rendre à l’école le matin, le midi et en fin de journée. Beaucoup sont allées travailler comme préposées aux bénéficiaires, avec la formation gratuite offerte par le gouvernement, selon lui.
Les CHSLD ont eu du renfort de l’armée parce qu’ils manquaient de personnel. Est-ce qu’on devra appeler l’armée nous aussi?
La confusion autour des tâches risque aussi de nuire à la satisfaction au travail des éducatrices, affirme Diane Miron, directrice générale de l’Association québécoise de la garde scolaire, qui regroupe 40 % des établissements. « Le rôle du personnel éducateur est normalement de livrer le programme éducatif, mais on craint qu’ils doivent se transformer en gardiens d’enfants et en préposés à la désinfection. »
Elle reconnaît que les responsables des services de garde « vont s’organiser du mieux qu’ils peuvent » malgré les directives pouvant être interprétées de façon variable.
« Je ne pense pas que ce soit apocalyptique. Ça ne sera pas parfait, mais on est dans une certaine gestion de la tolérance au risque. Tolérer le risque, c’est ce qu’on fait tout le temps. Quand je fais le plein d’essence, j’apporte une bouteille de savon désinfectant pour me laver les mains », renchérit Hélène Bourdages, présidente de l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire (AMDES).
Je ne pense pas que ce soit apocalyptique. Ça ne sera pas parfait, mais on est dans une certaine gestion de la tolérance au risque.
« Les pédiatres ont dit qu’il y a plus de risques pour les enfants de rester à la maison que de revenir à l’école », ajoute-t-elle.
Isabelle Boileau, en tout cas, a de la suite dans les idées. Lors d’une rencontre pour préparer la rentrée, cette semaine, la responsable du service de garde de l’école Aux-Quatre-Vents a demandé à la blague à sa directrice : « Les CHSLD ont eu du renfort de l’armée parce qu’ils manquaient de personnel. Est-ce qu’on devra appeler l’armée nous aussi ? »