Pic d’anxiété chez les parents d’élèves

La fermeture des écoles due à la pandémie a créé une vague d’anxiété chez les parents d’élèves. Les cliniques privées de psychologie sont prises d’assaut par des parents qui réclament un diagnostic pour leur enfant, par crainte qu’il soit laissé sans soutien à la rentrée scolaire de l’automne.

La fameuse « course aux diagnostics » est repartie de plus belle avec le déconfinement, a constaté Le Devoir. Les neuropsychologues rapportent une hausse des consultations pour dépister des troubles d’apprentissage ou de comportement chez les enfants. Les listes d’attente allongent.

Le confinement a été difficile pour bien des familles en télétravail, note le neuropsychologue Benoît Hammarrenger. La liste d’attente s’étire jusqu’à la mi-août à la clinique qu’il dirige, le CERC.

Des parents consultent, explique Benoît Hammarrenger, car leurs enfants étaient agités ou peinaient à se concentrer durant l’école à la maison. Ils s’inquiètent, par exemple, d’un possible trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH).

« C’est un trouble qui pouvait être relevé par l’école, mais pour plusieurs parents, c’était un peu minimisé, dit Benoît Hammarrenger. Ils ont été confrontés à quelque chose à quoi les enseignants sont confrontés tous les jours. »

Cela ne signifie pas pour autant que l’enfant a un TDAH, souligne Benoît Hammarrenger. Les conditions de vie exceptionnelles des derniers mois ont pu occasionner de l’agitation chez les jeunes. « C’est sûr que le confinement est non naturel pour l’enfant, dit-il. Il a besoin de sortir de la maison, d’être en contact avec d’autres enfants, de bouger. »

Les experts conviennent que la pause forcée dans la scolarisation de milliers d’élèves représentera un défi lors de la rentrée. Les écoles secondaires sont restées fermées depuis la mi-mars, sauf pour une minorité d’élèves handicapés. La moitié des élèves du primaire sont retournés sur les bancs d’école à compter de la mi-mai — dont aucun à Montréal, où les écoles n’ont jamais rouvert.

Ça commence à faire beaucoup d’enfants qui n’auront pas mis les pieds dans une école depuis cinq mois au moment de la rentrée scolaire, remarque Nancy Granger, professeure à la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke. « Dans ce contexte, tous les élèves peuvent être vulnérables. Ceux qui l’étaient avant la pandémie vont l’être encore plus », dit-elle.

La professeure fait partie d’un groupe d’experts consultés cette semaine par le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, pour offrir du soutien aux élèves en difficulté au cours de la session d’automne. Les représentants des ordres professionnels (psychologues, ergothérapeutes, orthopédagogues, conseillers en orientation, psychoéducateurs) et d’autres spécialistes de la question se sont réunis pour discuter avec le ministre.

Nancy Granger dit comprendre l’anxiété des parents, mais suggère à tout le monde de prendre une grande respiration. Pour la professeure de l’Université de Sherbrooke, la majorité des enfants peut très bien se débrouiller sans diagnostic de quelque trouble que ce soit.

« Est-ce qu’on est à l’école ou à l’hôpital ? On médicalise beaucoup trop l’enseignement », dit-elle. Comme bien des experts et des parents, Nancy Granger rappelle que le réseau scolaire a l’obligation d’offrir des services aux élèves qui en ont besoin, avec ou sans diagnostic.

Elle déplore la propension à prescrire des médicaments — ou des diagnostics — aux élèves ayant des difficultés. Certains peuvent en avoir besoin, mais elle rappelle que le système est conçu pour éduquer tous les élèves, même ceux qui ont des « troubles » d’apprentissage.

« Il va falloir faire un ménage là-dedans. Il faut arrêter de médicaliser l’enseignement pour plutôt offrir des services, dit-elle. On doit revenir à la base, qui est d’offrir un enseignement pour tous. On accepte que les enfants ne soient pas tous au niveau attendu. L’enseignant adapte ses pratiques en fonction de son jugement professionnel. »

Marchandisation des troubles

 

Bianca Nugent, présidente de la Coalition de parents d’enfants à besoins particuliers du Québec, est d’accord avec la professeure Granger.

« On dénonce depuis longtemps la course aux diagnostics. On assiste à la marchandisation des troubles. On doit demander de l’aide à gros prix aux cliniques privées. Il faut que l’école prenne ses responsabilités », dit cette doctorante en service social à l’Université d’Ottawa.

« Les parents pensent que la seule manière d’obtenir des services pour leurs enfants est d’avoir un diagnostic. Il y a une rupture des compétences en milieu scolaire pour aider nos enfants », ajoute-t-elle.

La Coalition réclame un virage dans la formation initiale des enseignants pour « faire de l’adaptation scolaire quelque chose de normal ».

En attendant la rentrée scolaire, le Centre de psychologie M-C Guay reçoit environ 20 % plus d’appels que lors des périodes estivales habituelles, selon sa fondatrice Marie-Claude Guay, aussi professeure au Département de psychologie de l’UQAM.

« Les parents ne sont pas paniqués, précise la neuropsychologue. Ils veulent s’assurer de bien outiller et de préparer leurs enfants pour cette rentrée un peu particulière. »

Joël Monzée, docteur en neurosciences, croit que la patience est de mise en vue de la reprise de l’enseignement. « Le plus gros piège serait de foncer tête baissée pour faire du rattrapage trop rapidement », dit cet expert qui fait partie du groupe de savants en éducation consultés cette semaine par le ministre Roberge.

Pour se concentrer sur l’essentiel — qui est l’enseignement, et non l’évaluation —, il recommande de suspendre les examens du ministère pour deux ans. Il propose aussi d’envoyer dans les écoles des psychologues, des orthopédagogues et d’autres professionnels du réseau de la santé, pour appuyer les enseignants dans les classes.

« Il faut individualiser le plus possible les apprentissages, pour les adapter aux besoins des élèves. Le lien de confiance avec les enseignants va être fondamental », dit Joël Monzée.

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