Des fonctionnaires de l’éducation dépourvus de moyens pour intervenir

À partir de quand de la nonchalance devient-elle de la négligence ? La question s’est posée mardi au palais de justice de Montréal, au deuxième jour des audiences devant la Cour supérieure, dans le cadre de la poursuite intentée contre Québec pour défaut d’éducation par un couple d’anciens juifs orthodoxes de la communauté Tash de Boisbriand.
Maryse Malenfant, adjointe à la direction de l’enseignement privé du ministère de l’Éducation jusqu’en 2017, a admis que le gouvernement savait depuis des années et même des décennies que les rejetons de cette communauté du nord de Montréal ne recevaient pas l’instruction de base exigée légalement pour tous les enfants du Québec.
Yochonon Lowen et Clara Wasserstein, maintenant dans la quarantaine, soutiennent que l’État ne les a pas protégés en ne leur assurant pas l’accès à une éducation adéquate, comme l’exigela Loi sur l’instruction. Ils ont fréquenté les centres de formation religieuse de leur ancienne communauté dans les années 1980 et 1990.
À leur sortie de l’école, ils accusaient de fortes lacunes dans les matières de base. Le couple veut que Québec encadre mieux dorénavant les programmes enseignés dans les écoles religieuses privées comme pour les enfants scolarisés à la maison.
L’ancienne fonctionnaire Maryse Malenfant a témoigné pendant la matinée pour exposer la chronologie des interventions et suivis de son bureau auprès du groupe Tash. Elle a elle-même pris conscience des lacunes de formation en 2005 en constatant qu’aucun élève masculin de la communauté ne suivait un programme du ministère. Elle a aussi reconnu l’existence d’un rapport ministériel de 1995 indiquant que la communauté gérait des écoles religieuses illégales depuis 1980.
Les membres du groupe Tash sont arrivés au Québec de Hongrie en 1951 et à Boisbriand en 1963. La communauté compte maintenant plus de 250 familles.
Mme Malenfant a expliqué que son ministère avait à l’époque peu de moyenspour intervenir. Elle a présenté des événements précis du tournant de la dernière décennie avec une plainte reçue en 2009, des visites d’inspecteurs gouvernementaux et des demandes d’interventions auprès des procureurs du gouvernement.
Les dates des suivis sautaient d’une étape à l’autre (20 janvier 2010, 8 décembre 2010, 25 octobre 2011…) quand le juge Martin Castonguay a interrompu le témoignage pour soulever lui-même la réflexion de fond.
« Ca prend à peu près un an à chaque fois ! Ce ne sont pas des reproches à vous, Mme Malenfant, a-t-il dit. Des fois, l’État, c’est long. Je dépends du ministère de la Justice. J’en sais quelquechose. »
Québec se défend
Les avocats du gouvernement et de la communauté font valoir que la situation a changé avec la loi 144, adoptée en 2017. Elle balise l’enseignement à la maison que doivent dispenser les communautés religieuses sous la supervision des commissions scolaires.
Le ministère évalue que 830 enfants de Tash sont scolarisés à la maison depuis 2018 sous la supervision d’experts de la commission scolaire Sir Wilfrid Laurier. Des centaines d’autres enfants juifs orthodoxes dépendent de la commission scolaire English-Montréal.
Le gouvernement caquiste a renforcé certains contrôles légaux en 2019 pour obliger les élèves à subir des contrôles périodiques et passer les examens nationaux. Le ministère de l’Éducation a annoncé il y a tout juste un an une « lutte contre les écoles illégales ».
Cette situation a été exposée en après-midi mardi par Caroline Kelly, nouvelle directrice de l’enseignement à la maison du ministère de l’Éducation. Elle a déposé des rapports récents montrant que la majorité des évaluations semblent conformes aux exigences ministérielles.
« Pour un plus petit nombre, il y a des défauts à corriger a-t-elle dit. Il faut du temps pour bien appliquer les nouvelles règles. Tout le monde doit se les approprier. »