Les programmes d’art et de culture touchés par les nouvelles règles d’immigration

Étudiante en danse à Montréal depuis trois ans, Lauranne Heulot vient d’apprendre qu’elle devra sans doute retourner en France à la fin de sa formation.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Étudiante en danse à Montréal depuis trois ans, Lauranne Heulot vient d’apprendre qu’elle devra sans doute retourner en France à la fin de sa formation.

La jeune Française Lauranne Heulot a quitté sa Bretagne natale pour le Québec il y a trois ans pour étudier à l’École de danse contemporaine de Montréal (EDCM). Sa formation s’achève et elle se demande maintenant si les nouvelles règles québécoises en matière d’immigration ne vont pas carrément la renvoyer d’où elle vient, qu’elle le veuille ou non. Un pas en avant, deux pas en arrière…

« Je n’avais pas la volonté affirmée de rester à très long terme, mais une chose est sûre, c’est que je voulais rester un certain temps pour voir ce qui se passe », dit Mme Heulot rencontrée dans les nouveaux locaux de l’EDCM au centre-ville de Montréal.

Maintenant, je suis bloquée. En apprenant les nouvelles règles d’immigration, j’ai pensé à tous ces étudiants finissants pour lesquels la seule chance de rester au Canada, c’est la résidence permanente. Et là, arrivés à la porte, on leur dit : Eh bien, non !

« Maintenant, je suis bloquée. En apprenant les nouvelles règles d’immigration, j’ai pensé à tous ces étudiants finissants pour lesquels la seule chance de rester au Canada, c’est la résidence permanente. Et là, arrivés à la porte, on leur dit : “Eh bien, non !” »

Selon les directives entrées en vigueur vendredi, pour accéder au Programme de l’expérience québécoise (PEQ), les candidats à l’immigration devront détenir un diplôme ou avoir travaillé dans un des domaines prédéfinis par le gouvernement.

Aucune liste similaire n’existait par le passé.

Les nouvelles balises dressent une liste de 218 domaines de formation admissibles. Il s’agit surtout de qualifications en science ou en technologie, avec quelques références aux sciences sociales (éducation, travail social, traduction…) mais aucune aux disciplines artistiques, sauf l’architecture.

Or, les domaines des arts et de la culture comptent beaucoup d’étudiants étrangers.

À l’École nationale de Cirque (ENC), bon an, mal an, la moitié des diplômés viennent d’ailleurs et finissent souvent par travailler pour l’une ou l’autre des compagnies québécoises, toujours en manque de personnel qualifié.

Le directeur de l’ENC est franchement outré par les nouveaux critères québécois. Il propose de rebaptiser le PEQ pour en faire le programme de l’exclusion québécoise

Je suis en beau fusil. Je sais pertinemment que dans le secteur des arts du cirque il y a une pénurie de main-d’œuvre.

« Je suis en beau fusil, dit Éric Langlois au Devoir. Je sais pertinemment que dans le secteur des arts du cirque il y a une pénurie de main-d’oeuvre. Nous avons des compagnies en pleine croissance. Ces compagnies viennent très largement puiser chez nos diplômés. C’est odieux de leur nuire de cette manière. »

Yves Rocray, directeur de l’EDCM en rajoute dans le même sens critique. « Nous sommes très inquiets, dit-il. L’annonce de Québec vient couper l’herbe sous les pieds des jeunes désireux de s’installer et de travailler au Québec. »

M. Rocray est aussi président du conseil d’administration de l’Association des Écoles supérieures d’art au Québec (ADESAM) qui réunit une douzaine de grands centres de formation partout sur le territoire. Il rappelle que les frais de scolarité des étudiants français, en surnombre parmi les étrangers, sont en plus assumés par l’État québécois en vertu d’une entente bilatérale.

« Du coup, c’est un peu ridicule d’accueillir chez nous pendant trois ans des étudiants étrangers pour les expulser une fois le diplôme obtenu. C’est un non-sens. Les gens qui sortent diplômés en danse ne vivent pas de l’aide sociale après leur formation. Et on ne peut quand même pas évacuer d’un seul coup de notre société tous les arts de la scène et tous les programmes en sciences sociales et en sciences humaines. »

L’Université de Montréal expose ses propres effets négatifs potentiels. L’institution rassemble 6137 étudiants en date du 5 novembre. La faculté de musique en compte 122 et le PEQ ne comprend aucun domaine les concernant. À la faculté d’aménagement (architecture, urbanisme, design industriel), le tiers des domaines serait épargné. À la Faculté des arts et des sciences, la plus grande et la plus attractive avec 3305 étudiants étrangers, à peine 9 % des programmes d’études évitent la nouvelle trappe.

À l’UQAM, les répercussions se feront particulièrement sentir sur les études supérieures. Dans certains domaines artistiques, les étudiants d’ailleurs totalisent environ 30 % des cohortes. La disparition de cette masse critique pourrait faire s’effondrer des programmes et des départements entiers.

« On se demande comment le gouvernement considère l’apport des arts dans la société quand on sait que par ailleurs la politique provinciale dit que les arts et la culture forment un domaine névralgique dans l’économie », commente Annie Gérin, doyenne par intérim de la faculté des arts de l’UQAM.

Même l’École nationale de l’humour commence à attirer son lot important d’apprenants d’ailleurs. Ils comptent pour quatre des quinze étudiants en ce moment même.

« C’est un phénomène récent mais en pleine croissance, dit la directrice et fondatrice de l’École, Louise Richer. Nous sommes de plus en plus connus dans le monde et nous avons une force d’attraction évidente. »

Mme Richer, comme les autres dirigeants d’écoles interrogés, rappelle l’importance de la mixité internationale dans toutes les formations, y compris dans son domaine spécialisé. « La diversité est tellement enrichissante, dit-elle. La diversité culturelle aussi. »

M. Rocray ajoute que l’émulation est une condition essentielle et éprouvée des disciplines artistiques.

« C’est extraordinaire de favoriser la rencontre des cultures et l’interinfluence. Ce que je comprends, c’est que personne n’a été consulté, ni dans nos écoles, ni dans les cégeps et les universités pour finalement réduire l’accès québécois à la diversité. »

Réponse du ministère

 

Le bureau de la ministre de la Culture et des Communications a adressé la demande de commentaires du Devoir au ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, maître du PEQ.

« Il existe une panoplie de mesures en immigration, dit Marc-André Gosselin, porte-parole du ministère de l’Immigration, citant notamment le Programme régulier des travailleurs qualifiés (PRTQ). Les portes du Québec ne sont pas fermées aux artistes. Ce n’est pas PEQ ou va t’en chez toi. Nous avons réorienté le PEQ en fonction des formations en déficit et en demande. Mais l’individu dans les arts peut poursuivre sa formation et poursuivre son processus d’immigration. »

M. Gosselin souligne aussi que la liste des domaines admissibles du PEQ sera mise à jour annuellement. Il est possible que des domaines particuliers comme le cirque ou d’autres soient pris en compte à l’avenir, dit-il.



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