La folie des «épreuves» de fin d’année

Photo: Catherine Legault Le Devoir «Si je ne me sens pas bien ce jour-là et que je rate l’examen, "too bad". Tout le travail que j’ai fait ne servira à rien», résume France, une élève d’Isabelle Aubé.

Le marathon des examens de fin d’année bat son plein dans les écoles du Québec. Élèves et enseignants consacrent des semaines à se préparer aux épreuves ministérielles, pesant parfois pour 50 % dans la note finale. Zoom sur les hauts et les bas de l’évaluation dans nos écoles.

Les élèves de 5e secondaire respirent mieux depuis le premier jeudi de mai. Ils ont un gros poids de moins sur les épaules : ce jour-là, ils ont fait leur examen du ministère en français. Trois heures pour rédiger un texte sur les changements climatiques. Trois heures qui compteront autant que les huit mois précédents dans leur note finale en rédaction française…

Des élèves brillants, sélectionnés pour faire partie du programme international à l’école Joseph-François-Perrault, fréquentent la classe d’Isabelle Aubé, dans le quartier Saint-Michel à Montréal. Disons qu’ils ne sont pas trop inquiets pour leur année scolaire. Ils appréhendaient quand même l’« épreuve » ministérielle en français. Un mot qui prend ici tout son sens.

« Si je ne me sens pas bien ce jour-là et que je rate l’examen, too bad. Tout le travail que j’ai fait ne servira à rien », résume France, une élève d’Isabelle Aubé, lors d’une discussion menée avec les élèves de sa classe. Alors, les jeunes, on entend toujours dire que vous êtes anxieux. Étiez-vous trop stressés par votre examen du ministère ?

On met un temps fou sur l’examen du ministère. Je suis contre. On passe trop de temps là-dessus. On tourne les coins ronds sur plusieurs éléments, dont la littérature.

 

« Juste le fait de penser que cet examen-là peut avoir une incidence importante sur ta vie, que ces trois heures-là vont définir ce que tu vas être plus tard, je trouve ça dégueulasse. Ça met un poids qui n’est pas nécessaire, répond Albert. Il y a des élèves qui sentent que s’ils ratent ça, ils ratent leur vie. »

La course aux notes

 

Peu importe le résultat, tous savent qu’il y a un avenir après les examens du ministère. Mais les craintes des élèves sont légitimes. Ils les vivent, ces craintes, les ressentent. Et leur stress est en partie fondé : une mauvaise note peut limiter leurs chances d’accéder à un programme contingenté au cégep ou à l’université.

Tout le système d’éducation, du primaire jusqu’à l’université, est fondé sur une course aux notes qui entraîne une concurrence entre élèves, entre écoles, entre commissions scolaires et même entre pays. C’est la loi du plus fort. T’as de bonnes notes, tu iras dans les meilleures écoles et tu auras un bon emploi.

Des voix s’élèvent pour dénoncer les excès de ce système qualifié d’élitiste, qui mise sur le « bourrage de crâne » plus que sur l’apprentissage. Le Conseil supérieur de l’éducation (CSE), notamment, et plusieurs chercheurs universitaires estiment que les écoles allouent trop de temps à l’évaluation des élèves et à les préparer aux examens. Certains remettent même en question la validité des notes chiffrées, estimées à tort comme infaillibles.

Mot d’ordre : réussir

Chose certaine, la multiplication des examens, notamment ministériels, est source d’anxiété chez les élèves et chez les enseignants. Isabelle Aubé, elle, prend les devants : elle « déstresse » ses élèves dès le début de l’année scolaire en leur disant que les examens ne sont que ça, des examens. Ses élèves en ont vu d’autres. Et ils ont ce qu’il faut pour réussir.

Mais tous les profs n’ont pas la même chance. Ceux qui travaillent dans des écoles défavorisées doivent se démener pour faire réussir leurs élèves. Mélissa  Cadieux enseigne le français en 5e secondaire à l’école Lucien-Pagé — dans un secteur du quartier Villeray peuplé d’immigrants. Plusieurs maîtrisent mal le français. Pas évident de réussir un examen final de français pour ceux qui parlaient à peine cette langue il y a tout juste deux ans.

« J’aime le défi d’aider des élèves défavorisés. Ça me motive beaucoup », dit Mélissa  Cadieux. Elle s’est donné une mission : « Je veux trouver le moyen de leur faire réussir leur année pour qu’ils continuent leurs études. Ils sont à risque de décrocher », dit-elle.

Et pour éviter de décrocher, il faut de bonnes notes. Alors, dès la rentrée scolaire, la prof commence à préparer ses élèves pour l’examen du ministère. « Les trois quarts de ce que je fais en écriture durant l’année scolaire sont [liés à] l’examen ministériel », explique l’enseignante.

L’épreuve ministérielle consiste à rédiger une lettre ouverte sur un sujet d’actualité. Ça peut sembler évident, mais ça ne l’est pas. Il faut préparer les élèves à rédiger ce type de texte. Or, la maîtrise du français, c’est plus qu’une lettre ouverte. La dizaine de profs interviewés à ce sujet admettent qu’ils voient en surface certaines parts importantes du programme afin d’avoir le temps requis pour préparer leurs élèves à l’épreuve finale.

« On met un temps fou sur l’examen du ministère. Je suis contre. On passe trop de temps là-dessus. On tourne les coins ronds sur plusieurs éléments, dont la littérature », déplore Martin Leduc, enseignant de français à l’école Marie-Anne, qui accueille des élèves de 16 à 21 ans ayant besoin d’aide pour terminer leur secondaire.

Des épreuves injustes ?

Au-delà du stress et de l’anxiété, la façon d’évaluer les élèves peut briser les enfants les plus vulnérables. Par exemple, les petits Autochtones échouent systématiquement aux épreuves de compréhension de texte, note Isabelle Nizet, professeure à la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke.

« Ils échouent pour une bonne raison : on leur demande d’écrire leurs réponses. Ils sont de très bons lecteurs, ils comprennent très bien, mais ils ne peuvent pas le démontrer dans notre système parce qu’ils ont des difficultés à écrire dans une langue qui n’est pas la leur. Ils font pourtant des scores extraordinaires quand on les évalueoralement en compréhension de textes. Je ne peux pas faire confiance à la manière dont on recueille les données. C’est biaisé », dit-elle.

« C’est la même chose pour les enseignants en milieux défavorisés à Montréal. Ils savent quel genre d’élèves ils ont en face d’eux et ils se disent : ils ne réussiront jamais. »

Les parents mettent aussi de la pression sur leurs enfants dès le primaire, note Marie-Josée Maurice, titulaire d’une classe combinée de 5e et 6e année à l’école Louis-Hippolyte-Lafontaine, sur le Plateau-Mont-Royal. « Ils veulent que leur enfant ait les notes pour être admis au privé au secondaire. Et ça, ça peut créer de l’anxiété. »

Les parents sont divisés sur la question. « Certains parents trouvent qu’il y a beaucoup trop d’examens, d’autres que c’est parfait et, pour d’autres, il en faudrait beaucoup plus. Bien sûr que la préparation d’un examen engendre du stress, mais la vie elle-même est stressante, dit Ida Francoeur, présidente du comité de parents de la Commission scolaire Marie-Victorin, sur la Rive-Sud. Certains parents voudraient protéger leurs enfants de tout ce stress et d’autres croient qu’il faut apprendre par l’expérience, et toutes ces visions se défendent. »

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