Précieuses connaissances inflexibles
L’éducation est la transmission de savoirs jugés importants retenus notamment parce qu’ils contribuent à construire l’autonomie des personnes et qu’ils favorisent chez elles l’exercice d’une citoyenneté critique.
Cela étant accordé, on ne peut manquer d’être frappé par ces minorations de l’importance du savoir qui traversent notre culture — et trop souvent aussi, hélas, le monde de l’éducation.
Elles portent en effet, et par définition, sérieusement atteinte à l’idée même d’éducation et en rendent la pratique, c’est le moins qu’on puisse dire, problématique.
C’est pourtant ce qui se produit parfois, comme le montrent les exemples suivants.
Venue de la philosophie, l’influent courant de pensée du postmodernisme a alimenté un troublant relativisme : dans sa version la plus caricaturale, il ne permet plus guère de distinguer mécanique classique et astrologie.
Une certaine sociologie a invité à voir les savoirs scolaires comme autant de composantes de la pensée dominante permettant à celle-ci de perpétuer son emprise intellectuelle et, par là, sa domination économique.
De leur côté, les réseaux sociaux, entre autres, ont contribué à l’apparition, qu’on aurait il n’y a pas si longtemps jugée impossible, de formes de négation de savoirs pourtant solidement établis au profit de croyances aberrantes et conspirationnistes. Pensez ici à ce que promeuvent les adeptes du refus de se faire vacciner ou de faire vacciner ses enfants ; aux promoteurs de l’idée que la terre est plate ; à ces personnes persuadées que des chemtrails existent ; et ainsi de suite. On a même créé un mot nouveau pour désigner ces gens : on les appelle des dénialistes.
Mais plutôt que de poursuivre cette énumération, je voudrais attirer l’attention sur des formes de la négation du savoir et de son importance qu’on retrouve parfois en éducation : elles proviennent en bonne partie de l’ignorance de l’importance de ce qu’on appelle les connaissances inflexibles.
Mais il serait très dommageable que ce bienvenu désaveu de ce qu’on récite sans le comprendre conduise à minorer l’importance du savoir propositionnel, même modeste, qui est capital au point d’être la base sur laquelle s’érige l’expertise.
Or, on a justement trop eu tendance, en éducation, à emprunter cette voie-là, qui est sans issue et qui annonce, elle aussi, une catastrophe pédagogique.
On y va pourtant tout droit quand on parle, pour les dénigrer, de ce qui ne serait que de simples faits, sans grande importance ; ou en prônant pour cette raison des méthodes qui demandent de mettre d’emblée en œuvre ce que l’éducation doit ultimement permettre : la pensée abstraite, profonde, synthétique et critique ; ou encore en assurant que ce qui ne sont que de simples informations pourront toujours être facilement trouvées sur Internet et qu’il ne sert donc à rien d’en charger l’esprit des élèves.
Les connaissances inflexibles doivent donc être transmises, et l’être systématiquement, modestement, en donnant des exemples, et dans le bon ordre, si vraiment on veut éduquer. Pour cela, il faut avoir une idée claire des savoirs que l’on doit transmettre et le faire en ne confondant pas savoir bêtement par cœur et connaissances inflexibles, en se rappelant que celles-ci sont nécessaires pour atteindre les grands objectifs que nous devons atteindre. La connaissance flexible, qui peut s’appliquer à différents contextes, est abstraite et permet de penser en profondeur.
Si on oublie tout cela, on pourrait en venir à succomber à cette illusion cognitive qu’il faut enseigner non plus pour mais bien par les compétences. Et à cette autre illusion que certaines d’entre ces compétences se transposent facilement à tous les contextes.
Tiens : on les appellerait transversales…
Une lecture : disponible en français, cet article de D. T. Willingham va plus loin que j’ai pu le faire ici sur ce sujet de la plus haute importance : Les connaissances inflexibles : première étape vers l’expertise.
Cela étant accordé, on ne peut manquer d’être frappé par ces minorations de l’importance du savoir qui traversent notre culture — et trop souvent aussi, hélas, le monde de l’éducation.
Elles portent en effet, et par définition, sérieusement atteinte à l’idée même d’éducation et en rendent la pratique, c’est le moins qu’on puisse dire, problématique.
C’est pourtant ce qui se produit parfois, comme le montrent les exemples suivants.
Entre savoir dénigré et culture suspecte
L’idée de capital humain, venue de l’économie, pourra ainsi inviter à minimiser l’importance de savoirs retenus pour leur valeur intrinsèque et à faire une place disproportionnée à des savoirs répondant aux besoins du marché.Venue de la philosophie, l’influent courant de pensée du postmodernisme a alimenté un troublant relativisme : dans sa version la plus caricaturale, il ne permet plus guère de distinguer mécanique classique et astrologie.
Une certaine sociologie a invité à voir les savoirs scolaires comme autant de composantes de la pensée dominante permettant à celle-ci de perpétuer son emprise intellectuelle et, par là, sa domination économique.
De leur côté, les réseaux sociaux, entre autres, ont contribué à l’apparition, qu’on aurait il n’y a pas si longtemps jugée impossible, de formes de négation de savoirs pourtant solidement établis au profit de croyances aberrantes et conspirationnistes. Pensez ici à ce que promeuvent les adeptes du refus de se faire vacciner ou de faire vacciner ses enfants ; aux promoteurs de l’idée que la terre est plate ; à ces personnes persuadées que des chemtrails existent ; et ainsi de suite. On a même créé un mot nouveau pour désigner ces gens : on les appelle des dénialistes.
Mais plutôt que de poursuivre cette énumération, je voudrais attirer l’attention sur des formes de la négation du savoir et de son importance qu’on retrouve parfois en éducation : elles proviennent en bonne partie de l’ignorance de l’importance de ce qu’on appelle les connaissances inflexibles.
Autre chose que du simple par cœur
Montaigne l’a dit, et avec raison : savoir par cœur n’est pas savoir. Prenez cet élève qui peut répéter sans faute la formule quadratique, mais qui n’a pas plus d’idée de ce qu’elle signifie que s’il l’avait apprise au son en mandarin. Il sait par cœur et, en effet, il ne sait rien. C’est une catastrophe pédagogique.Mais il serait très dommageable que ce bienvenu désaveu de ce qu’on récite sans le comprendre conduise à minorer l’importance du savoir propositionnel, même modeste, qui est capital au point d’être la base sur laquelle s’érige l’expertise.
Or, on a justement trop eu tendance, en éducation, à emprunter cette voie-là, qui est sans issue et qui annonce, elle aussi, une catastrophe pédagogique.
On y va pourtant tout droit quand on parle, pour les dénigrer, de ce qui ne serait que de simples faits, sans grande importance ; ou en prônant pour cette raison des méthodes qui demandent de mettre d’emblée en œuvre ce que l’éducation doit ultimement permettre : la pensée abstraite, profonde, synthétique et critique ; ou encore en assurant que ce qui ne sont que de simples informations pourront toujours être facilement trouvées sur Internet et qu’il ne sert donc à rien d’en charger l’esprit des élèves.
Vers l’expertise par le bon chemin
Or, s’il est une chose sur laquelle les sciences cognitives ne laissent pas de doute, c’est bien sûr l’importance des connaissances pour la pensée, dont elles sont l’aliment et l’indispensable composante. Savoir que la Rébellion des patriotes commence en 1837, c’est certes n’en savoir presque rien. Mais ce modeste savoir, qui ne va pas loin, qui reste étroit et limité, qui ne peut s’appliquer dans de nouveaux contextes et qui est pour cette raison appelé inflexible, est une nécessaire étape vers la possibilité d’approfondir son objet, de l’appréhender de manière de plus en plus profonde et abstraite, au-delà de sa structure superficielle de simple fait. En fait, on ne peut accéder à la compréhension, et moins encore à l’expertise, sans ces connaissances inflexibles.Les connaissances inflexibles doivent donc être transmises, et l’être systématiquement, modestement, en donnant des exemples, et dans le bon ordre, si vraiment on veut éduquer. Pour cela, il faut avoir une idée claire des savoirs que l’on doit transmettre et le faire en ne confondant pas savoir bêtement par cœur et connaissances inflexibles, en se rappelant que celles-ci sont nécessaires pour atteindre les grands objectifs que nous devons atteindre. La connaissance flexible, qui peut s’appliquer à différents contextes, est abstraite et permet de penser en profondeur.
Si on oublie tout cela, on pourrait en venir à succomber à cette illusion cognitive qu’il faut enseigner non plus pour mais bien par les compétences. Et à cette autre illusion que certaines d’entre ces compétences se transposent facilement à tous les contextes.
Tiens : on les appellerait transversales…
Une lecture : disponible en français, cet article de D. T. Willingham va plus loin que j’ai pu le faire ici sur ce sujet de la plus haute importance : Les connaissances inflexibles : première étape vers l’expertise.