La recherche a besoin d’un refinancement

Hélène Roulot-Ganzmann Collaboration spéciale
S’il y a encore un moment très difficile à passer pour les chercheurs, c’est bien celui du post-doctorat.
Photo: Kinga Cichewicz Unsplash S’il y a encore un moment très difficile à passer pour les chercheurs, c’est bien celui du post-doctorat.

Ce texte fait partie du cahier spécial Recherche universitaire

On souffle du côté des chercheurs. Après les années Harper, qui avaient vu le financement de la recherche fondamentale réduite à la portion congrue, le gouvernement libéral de Justin Trudeau a annoncé au printemps dernier qu’il réinjecterait près de 4 milliards de dollars sur cinq ans, faisant passer le budget de la recherche scientifique à 3,8 milliards de dollars dès cette année. S’il faudra attendre encore plusieurs années afin que cette décision se concrétise dans les résultats de recherche, force est de constater que, dans les laboratoires, c’est l’effervescence.

« Faire de la recherche, pour une nation, c’est primordial, affirme Vincent Larivière, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les transformations de la communication savante et directeur scientifique adjoint de l’Observatoire des sciences et des technologies [OST]. Bien sûr, il y a une question de prestige. Être rattaché à une découverte, gagner un prix Nobel, ça donne une certaine renommée. C’est important aussi pour l’enseignement puisque les résultats de recherche permettent de faire évoluer les cours, donc de mieux former les étudiants. Et puis, certaines découvertes peuvent aussi avoir un potentiel économique. »

M. Larivière ajoute qu’il faut également différencier ce que l’on nomme communément les sciences dures des sciences humaines et sociales. Si les premières, qu’il s’agisse de mathématiques, de physique, de médecine ou encore de chimie, sont très internationales, dans le sens où le même sujet de recherche pourrait être mené en Russie et au Canada sans que cela ait un impact sur les résultats, les deuxièmes sont souvent bien plus locales.

« La recherche nationale s’intéresse à des problématiques nationales, explique-t-il. Chaque société a ses propres problématiques. Étudier l’alcoolisme, le chômage, les discriminations et bien d’autres sujets liés à l’homme ne donnera pas les mêmes résultats en Russie et au Canada. Or, les gouvernements ont besoin de ces résultats de recherche pour mieux comprendre la société qu’ils dirigent et ainsi mettre en place des politiques publiques à partir de données probantes. »

Le cas des post-doctorats

 

Mieux comprendre notre société et placer le Canada et le Québec comme des leaders mondiaux en matière d’innovation et de recherche, voilà donc à quoi devraient servir les milliards de dollars réinjectés par Ottawa dans la recherche. Déjà, le taux de succès, à savoir les réponses positives aux demandes de subventions, a augmenté ces derniers mois, notamment dans le secteur des sciences sociales et humaines. Surtout, il semble y avoir un changement de stratégie au sein des organismes subventionnaires.

« Il y a deux stratégies possibles pour délivrer des bourses, explique Vincent Larivière. Soit on mise uniquement sur l’excellence et on attribue de gros montants à très peu de chercheurs aguerris. Soit on met l’accent sur la découverte et on distribue des sommes plus petites à un plus grand nombre de chercheurs. Les fonds semblent vouloir aller dans la deuxième direction ces temps-ci et je crois que c’est une bonne nouvelle. »

M. Larivière indique qu’ainsi les domaines de recherche sont plus diversifiés. Il soutient également que pour faire des découvertes, il faut bien sûr une grande dose de recherche, mais qu’il faut aussi une petite dose de chance. Et que plus il y a de chercheurs qui cherchent, plus la chance a de chance de survenir.

Le portrait serait cependant trop beau s’il n’y avait pas un « mais ». Le professeur explique que, s’il y a encore un moment très difficile à passer pour les chercheurs, c’est bien celui du post-doctorat. Ce moment de transition entre le doctorat et le poste d’enseignant-chercheur, qui a tendance à s’éterniser ces dernières années.

« Dans le temps, on faisait un post-doc, indique-t-il. C’était souvent l’occasion de voyager, de se faire des relations professionnelles dans d’autres pays et de se spécialiser. Sauf qu’il y a de plus en plus d’étudiants qui obtiennent un doctorat, et pas plus de postes d’enseignants qu’avant. Moins même que dans les années 1980. Résultat, il n’est pas rare de demeurer une dizaine d’années en post-doc, et les bourses qui y sont octroyées ne sont pas aussi intéressantes que celles des doctorants et des professeurs. »

Rayonnement du Canada et du Québec

 

Ces années de post-doctorat sont pourtant cruciales parce qu’elles encouragent les futurs chercheurs à la coopération internationale entre laboratoires de partout dans le monde et que cela est primordial pour faire avancer la science, mais aussi pour continuer à faire rayonner le Canada et le Québec.

À ce propos, Vincent Larivière rappelle que, si l’on excepte l’Amérique de Donald Trump, la plupart des pays développés réinvestissent dans la recherche, et que l’argent injecté par Ottawa permettra seulement de maintenir notre place sur l’échiquier mondial, pas de l’améliorer. Il précise d’ailleurs que c’est aujourd’hui la Chine qui produit le plus de connaissances.

Le professeur s’inquiète par ailleurs que dans le nouveau gouvernement Legault à Québec, le ministère de l’Économie et de l’Innovation ait perdu la responsabilité de la science, au moins dans son titre.

« Les mots ne sont pas anodins, conclut-il. Que signifie ce changement de dénomination ? Est-ce que la science est incluse dans l’innovation ? Auquel cas, ça met de côté toute la recherche fondamentale. C’est quelque chose à surveiller. »


Les chiffres de la recherche

Le gouvernement fédéral a annoncé en avril dernier un investissement de près de 4 milliards de dollars sur cinq ans dans la recherche fondamentale. Cette somme comprend notamment 1,2 milliard pour les trois conseils subventionnaires, 763 millions pour la Fondation canadienne pour l’innovation et 210 millions pour la création de près de 250 chaires de recherche d’ici 2022

Dans le cadre de la Stratégie québécoise de la recherche et de l’innovation (SQRI), le gouvernement du Québec a quant à lui annoncé au printemps 61,7 millions de dollars de ressources supplémentaires sur cinq ans. Cette augmentation portera les ressources totales attribuées aux différents Fonds de recherche du Québec à près de 366 millions de dollars sur cinq ans.

En 2013, le Québec comptait 43 640 chercheurs sur les 160 000 qu’héberge le Canada.

La province totalisait près de 16 000 publications scientifiques en 2015, soit la moitié de l’Ontario. Le Canada en a publié plus de 76 000, soit 4 % de toute la production mondiale. Le Québec en produit quant à lui 1 %.

Le domaine biomédical est le plus fort au Québec en matière de publications. Entre 2009 et 2014, ce secteur a totalisé 106 000 publications, contre 38 000 pour les technologies de l’information et des communications et 36 000 pour le génie, qui se classent respectivement 2es et 3es.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.



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