Chercheur de jour, cowboy de soir

Jean-François Venne Collaboration spéciale
Jérôme Dupras
Photo: Acfas Jérôme Dupras

Ce texte fait partie du cahier spécial Relève en recherche

Chercheur et professeur en géographie à l’Université du Québec en Outaouais (UQO) le jour, bassiste du groupe Les Cowboys fringants le soir, Jérôme Dupras vit très bien son petit côté docteur Jekyll et M. Hyde. Et s’il est vrai que sa carrière musicale le place un peu plus dans la lumière, il est loin de mener sa vocation de chercheur dans l’ombre.

C’est que Jérôme Dupras est un chercheur engagé. Cela n’étonnera qu’à moitié les adeptes des Cowboys fringants, un groupe reconnu pour son militantisme, notamment pour la défense de l’environnement et de la protection du territoire. Depuis 2006, la formation musicale a même sa propre fondation éponyme, faisant la promotion d’une gestion saine, respectueuse et réfléchie de l’environnement et collaborant activement au développement de la recherche scientifique dans ce domaine.

Vues ainsi, les deux carrières de Jérôme Dupras ont davantage l’air de se compléter que de s’opposer. « En fait, mon activité musicale et mes travaux de recherche se nourrissent, parfois de manière très concrète », confie-t-il. Il donne l’exemple d’un projet de recherche portant sur la ceinture et la trame verte.

Planter 375 000 arbres

Ce projet se trouve au coeur d’une préoccupation du chercheur. En effet, il constate que l’on envisage souvent les services publics en pensant à des infrastructures comme des aqueducs ou des égouts, mais rarement en tenant compte des infrastructures naturelles. Pourtant, dans de nombreux cas, l’écosystème et la biodiversité fournissent eux-mêmes des services d’utilité publique. Par exemple, un couvert forestier peut séquestrer les eaux de ruissellement et prévenir les débordements d’eaux usées ; une canopée, c’est-à-dire l’étage supérieur d’un groupe d’arbres, aide à éviter les îlots de chaleur, etc.

Il faut donc préserver les infrastructures naturelles existantes, voire en créer de nouvelles, afin de constituer une trame verte efficace. Pour y parvenir, des chercheurs sur le terrain ont évalué quelles essences d’arbre sont les mieux adaptées aux changements climatiques et aux espèces invasives. L’objectif est de poser un diagnostic sur l’état actuel de cette infrastructure naturelle et de déterminer une intervention appropriée pour assurer sa pérennité et son développement.

« Après avoir en quelque sorte cartographié une trame verte idéale, la Fondation Cowboys fringants a financé la plantation de 375 000 arbres au cours des dernières années, explique M. Dupras. L’art a joué un rôle de sensibilisation, de fédération et de financement pour mettre en oeuvre des conclusions tirées d’une recherche scientifique. »

La fondation a un programme nommé Demain la forêt, visant à planter partout au Québec des forêts composées d’arbres dont les scientifiques ont démontré l’adaptation au climat qui sera le nôtre dans quelques années. Le groupe sert de moteur, notamment grâce au réseau de connaissances qu’il a tissé dans le monde du spectacle. Louis-José Houde, par exemple, remet à ce programme un dollar par billet de spectacle vendu.

Partager les connaissances

 

Assurément, Jérôme Dupras a le militantisme chevillé au corps. Mais comment en est-il arrivé à mener une carrière de professeur universitaire et de chercheur en géographie ? Il raconte qu’il a d’abord étudié du côté des sciences de la vie, faisant un baccalauréat en biochimie à l’Université de Montréal en 2002. Cette année-là, Les Cowboys fringants connaissent leur grande éclosion publique avec l’album Break syndical, lequel sera suivi à peine deux ans plus tard de La grand-messe. Le groupe tourne énormément et fera plus de 150 concerts, juste dans les quelques mois suivant la sortie de Break syndical. Toute cette effervescence détourne Jérôme Dupras des bancs de l’université.

Lorsqu’il y retourne, il choisit la géographie. Il obtient sa maîtrise en 2008, puis son doctorat en 2014. Il devient plus tard professeur au Département des sciences naturelles de l’UQO et chercheur à l’Institut des sciences de la forêt tempéré. Pourquoi avoir troqué les sciences de la vie pour la géographie ?

« L’engagement de plus en plus fort du groupe envers l’environnement m’a donné envie de retourner à l’université dans un domaine où je pourrais intervenir concrètement sur ce sujet, raconte-t-il. La géographie constitue une discipline très transversale, centrée sur la relation de l’être humain à son environnement. Cela correspondait bien à mon envie de démontrer scientifiquement l’apport de la nature au bien-être des êtres humains. »

Son intérêt comme chercheur est donc double : il veut à la fois mener des projets de recherche qui produiront des résultats scientifiques intéressants, mais aussi s’assurer que ces derniers auront un impact concret sur la société. Une approche qu’il n’hésite pas à recommander aux jeunes chercheurs. Il ne suffit pas, selon lui, de devenir un expert dans un domaine de recherche. Il faut aussi s’assurer que tout le monde puisse en bénéficier, en sortant de l’univers universitaire pour s’engager dans la communauté.

Il donne l’exemple de James E. Hansen, qu’il cite comme l’un de ses modèles. M. Hansen a dirigé le Goddard Institute for Space Studies de 1981 à 2013 et a été le premier, en 1988, à sonner l’alarme devant le Congrès américain au sujet des changements climatiques. Chercheur et militant, il a même été arrêté à quelques reprises, notamment en 2013, alors qu’il protestait contre l’extension de l’oléoduc Keystone aux États-Unis. « M. Hansen soutient que son discours scientifique a une certaine portée, mais qu’il est de son devoir de décupler son impact en s’engageant activement, afin de rejoindre le plus grand nombre de personnes possible. »

Jérôme Dupras suggère aussi aux jeunes chercheurs de travailler leur créativité. Elle représenterait l’essence de la recherche et pourrait, fort heureusement, être développée chez chacun d’entre nous. « Je crois que l’innovation résulte d’un mélange de créativité et de rigueur scientifique, dit-il. Si j’avais un conseil à donner aux jeunes qui aspirent à une carrière en recherche, c’est de se faire confiance, d’être créatifs et de ne pas craindre de mettre à l’épreuve de nouvelles idées ou des hypothèses audacieuses. En ce sens, la science ressemble un peu à une forme d’art. Tout part toujours d’une idée. »

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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