Quand l’école dit adieu aux pupitres

Un vent de changement souffle sur certaines écoles. Postes de travail debout, gros ballons et fauteuils y ont la cote. Recalé, le pupitre ?
« Ce que j’aime le plus, c’est quand je m’assois sur les gros ballons ou sur les chaises avec des roues », s’enthousiasme Gaspard. Depuis la rentrée, ce garçon de 7 ans et ses amis de 2e année ne s’assoient plus sur des chaises droites. Enfin, presque plus. Il ne reste que quatre pupitres dans la classe de Mme Mélanie.
Au-devant de la classe trônent désormais trois petites tables basses et des coussins. Sous la fenêtre s’élève une table, autour de laquelle les enfants peuvent travailler debout. Un peu plus loin, deux fauteuils attendent de trouver preneurs. Et derrière, les fameux ballons — si populaires auprès des enfants — apportent une touche ludique à cet univers créé par Mélanie Lachapelle.
Car après une quinzaine d’années à enseigner dans une classe dite traditionnelle, l’enseignante de l’école Notre-Dame-de-l’Assomption, dans le quartier Hochelaga à Montréal, a fait le choix de l’aménagement flexible pour sa classe.

« Et je ne retournerais pas en arrière », lance-t-elle, visiblement enthousiasmée par ce nouvel aménagement qu’elle a introduit auprès de ses élèves à mi-parcours lors de la dernière année scolaire.
Les pupitres rangés
Bien qu’aucune donnée n’existe à ce sujet, tout porte à croire que l’aménagement souple des places assises, ou flexible seating, un concept importé des États-Unis, serait de plus en plus populaire dans les écoles de la province.
Les bénéfices seraient multiples : hausse de l’attention et du niveau de concentration des élèves, amélioration des capacités d’apprentissage, diminution de la sédentarité chez les jeunes, responsabilisation des enfants. Mais surtout, cet aménagement flexible de l’espace aiderait les élèves qui ont un déficit de l’attention à mieux fonctionner en classe.
« C’est un concept qui vise à donner plus de flexibilité aux enfants quant au type de poste de travail sur lequel ils s’installent », explique Josiane Caron Santha, ergothérapeute. Le pari est simple : en permettant aux élèves de choisir un siège qu’ils trouvent confortable et qui est bien adapté à leurs besoins, les enfants seront « plus disponibles pour apprendre et auront un meilleur rendement et un meilleur engagement dans la classe », soutient Mme Caron Santha.

Maëlle et Béatrice, 8 ans, étaient toutes deux dans la classe de Mme Mélanie l’an dernier lorsque l’enseignante a réaménagé sa classe. « Ça nous a vraiment fait du bien », soulignent-elles, d’une seule voix.
« Quand on a un bureau, on reste toujours dans la même position, on a toujours un dossier et on a toujours un pupitre devant nous. Maëlle et moi, on aime mieux bouger ! », s’exclame Béatrice. « C’est vrai que, parfois, j’ai besoin de bouger, poursuit son amie. Quand je suis trop longtemps dans la même position, des fois, je suis juste plus capable. »
La bougeotte
Tout comme Gaspard, ce sont les gros ballons qui ont ravi le coeur des deux amies. Visiblement complices, elles se souviennent toutes deux qu’elles préféraient se tenir bien loin du pupitre debout… beaucoup trop fatigant à leur goût !
De l’aveu de Mme Mélanie, le poste de travail debout est souvent réservé aux enfants qui ont la bougeotte. « Ça canalise leur énergie et ça les enracine. Et ils voient que ça leur fait du bien », relate-t-elle.
Debout, assis, couché, à genoux : les enfants peuvent expérimenter de nombreuses postures. « Bouger, c’est bon pour garder le cerveau actif, éveillé et prêt à apprendre », mentionne Josiane Caron Santha.
Esprit de groupe
Dans une classe flexible, chaque enfant demeure à son poste de travail une vingtaine de minutes avant de changer de place. Pour l’instant, dans la classe de Mme Mélanie, un horaire détermine où chaque élève s’installe. Mais dans quelques semaines, l’enseignante rencontrera chacun de ses 16 élèves pour évaluer avec eux sur lesquelles des 10 stations ils se sentent le mieux. Les enfants pourront par la suite choisir eux-mêmes leurs postes de travail.
« C’est sûr que ça prend des élèves autonomes, souligne l’enseignante. Mais en même temps, ça s’apprend l’autonomie. » Et au bout du compte, les enfants sont plus concentrés, observe-t-elle. « Ceux qui bougent beaucoup dérangent moins. Les “cas” ressortent beaucoup moins », souligne l’enseignante. L’esprit de groupe est également rehaussé dans une classe flexible, croit-elle.
« Il y a tout le principe de la collectivité. Les enfants comprennent que ce qu’ils font a un impact sur les autres. » Chaque élève est responsable de son espace de travail. Il doit le ranger et le garder propre, puisque, à la prochaine rotation, c’est un autre élève qui prendra sa place. « Ça favorise la coopération entre les enfants », note Mélanie Lachapelle.
Une place sur mesure
Idéalement, une ergothérapeute devrait visiter les classes flexibles pour évaluer chaque enfant et déterminer avec lui les postes de travail qui sont les plus adaptés à sa posture et qui lui offrent le meilleur soutien pour son écriture.« Il ne faut pas juste que ce soit l’fun », insiste Josiane Caron Santha.
Par exemple, si la musculature d’un enfant est plus faible au niveau du tronc, il aura tendance à s’affaisser et à moins bien tenir sa tête. Le choix d’un siège ballon ou une position en tailleur à terre ne seront donc pas adaptés pour lui. Sa capacité à bien tenir et à maîtriser son crayon en sera altérée, explique Mme Caron Santha.
Mais là réside le principal frein à l’aménagement flexible des classes : le financement. Mme Mélanie songe à faire venir une ergothérapeute dans sa classe… mais le budget manque cruellement. Pour aménager sa classe, l’enseignante a d’ailleurs puisé dans ses poches et a épluché les petites annonces sur Internet afin de trouver du matériel adapté.
« J’ai aussi réussi à trouver plein de mobilier dans l’école », glisse-t-elle, l’oeil allumé. Les dossiers qui permettent de s’asseoir à terre ont été réquisitionnés à la bibliothèque et des pieds de table ont été sciés pour fabriquer des tables basses.
Voilà justement ce qui propulse le mouvement du flexible seating : la motivation des enseignants, indique Josiane Caron Santha. « Ils ont le désir d’expérimenter une nouvelle façon d’enseigner », se réjouit-elle.
Pour Mélanie Lachapelle, c’est le besoin de se réinventer à un moment charnière de sa vie qui a agi comme un véritable moteur. « C’est un projet qui m’allumait, confie-t-elle. Encore tous les jours, ça me force à me renouveler et à me questionner. Et j’adore ça. »
Et au-delà de l’aménagement de la classe, n’est-ce pas cette étincelle qu’il faut retrouver dans le regard de chaque enseignant ?