Faut-il préparer les élèves à un tireur fou?

L’alerte a été lancée un matin vers 10 h 15. Un homme suspect, possiblement armé, errait dans un paisible village de la Beauce. Le personnel de l’école primaire du Trait-d’Union a mis en branle les consignes de confinement barricadé : tout le monde assis par terre en classe, le long du mur adjacent au corridor, silence absolu, lumières éteintes et meubles placés devant la porte.
Les élèves et le personnel de l’école sont restés ainsi immobiles durant deux heures. Deux très longues heures à craindre l’irruption d’un tireur fou dans l’école, raconte Catherine Giguère, directrice de cette petite école de Saint-Prosper. En cours de journée, la police a déterminé qu’il s’agissait d’une fausse alerte.
« C’était une fausse alerte, mais on a eu une vraie peur », dit-elle, encore sous le coup de l’émotion une semaine plus tard.
« Ça s’est bien passé, mais on ne veut plus jamais vivre ça. Le niveau de stress a été très intense. Même aujourd’hui, le niveau de fatigue de tout le monde est inhabituel », ajoute la directrice.
Certains enfants étaient désemparés. Ils pleuraient, se demandaient si leurs parents étaient en sécurité, s’ils allaient dormir à l’école, s’ils auraient leur doudou… Des membres du personnel, eux, recevaient des textos de leurs enfants qui se demandaient s’ils avaient encore une mère.
Le personnel de l’école a su comment réagir grâce à une formation sur les mesures de confinement donnée par la Sûreté du Québec (SQ), explique Catherine Giguère. Les enseignants et les autres employés avaient fait cet exercice de confinement barricadé il y a deux ans.
Débat déchirant
L’école du Trait-d’Union avait décidé d’offrir cette formation à son personnel, mais pas aux élèves. « Je me suis toujours opposée farouchement à ce genre de pratique avec des enfants. On ne veut pas semer des graines de peur dans la tête des enfants », dit Catherine Giguère.
Cet exercice de confinement barricadé, 78 % des 1600 écoles placées sous la juridiction de la SQ l’ont suivi. La vaste majorité n’a offert l’exercice qu’aux membres du personnel. À peine 11 % l’ont offert aussi aux élèves, surtout au secondaire, selon la SQ.
Ce type d’exercice a été créé en 2009 dans la foulée de la fusillade au Collège Dawson, en 2006. La loi surnommée Anastasia (en l’honneur de la jeune Anastasia De Sousa, victime du tireur) oblige les garderies et les écoles, du primaire à l’université, à se doter d’un plan d’urgence en cas d’attaque armée.
Près de 10 ans plus tard, les exercices de confinement barricadé dans les écoles donnent encore lieu à des débats enflammés. Certains militent pour offrir ces exercices tant aux élèves qu’aux membres du personnel. D’autres s’y opposent fermement par crainte de traumatiser les participants.
Principe de prudence
« La plus grande prudence s’impose étant donné que les données probantes sur le sujet sont très rares », prévient Lyse Turgeon, professeure agrégée à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal.
« On ne sait pas entre autres quels sont les effets néfastes possibles chez les enfants, particulièrement chez les plus jeunes et chez ceux qui sont déjà anxieux. Des collègues psychologues en France m’ont fait part de fortes réactions chez les plus jeunes depuis que les exercices de confinement sont obligatoires en France après la série d’attentats terroristes », ajoute-t-elle.
Mme Turgeon a fait partie d’un comité d’experts créé par la Commission scolaire de Montréal (CSDM) pour recommander des lignes directrices au sujet des exercices de confinement. Une série de consensus ont été dégagés, explique-t-elle :
- ne pas rendre ces exercices obligatoires ;
- être particulièrement sensibles aux enfants plus jeunes ou aux élèves en difficulté ;
- outiller davantage les adultes que les jeunes pour être en mesure de gérer une crise ;
- mener des études sur les pratiques actuelles afin d’en mesurer les impacts, tant positifs que négatifs.
Ce rapport de la CSDM reste confidentiel. À l’heure actuelle, la commission scolaire laisse ses écoles décider si elles offrent ou non — au personnel ou aux élèves — l’exercice de confinement barricadé.
Une école divisée
À Montréal comme ailleurs, ces exercices déchirent les parents et les membres du personnel des établissements. L’école primaire du Plein-Coeur, à Richmond en Estrie, vit un de ces débats qui soulèvent les passions. À force d’acharnement, des parents ont bloqué deux exercices de confinement barricadé prévus depuis le début de l’année 2018. Ils ont eu besoin de l’intervention du Protecteur de l’élève de leur commission scolaire.
« On a appris presque par hasard que la directrice, semble-t-il avec l’accord des professeurs, voulait faire l’exercice avec les élèves », dit Hélène Boulé, mère de trois enfants qui fréquentent cette petite école.
« C’est un peu cavalier d’imposer ces exercices-là. Je n’avais jamais entendu parler de ça avant d’apprendre que mes enfants le feraient. Il faut laisser le temps aux parents de s’informer », ajoute-t-elle.
Hélène Boulé et son groupe de parents ne blâment pas ceux qui réclament l’exercice de confinement. Tout le monde pense au bien-être des enfants et du personnel. Mais la décision doit se prendre au conseil d’établissement après un débat éclairé, insistent les parents.
Entre-temps, une vidéo destinée au personnel a été montrée par erreur à des élèves en classe, souligne Hélène Boulé. Des enfants ont ainsi vu une simulation de confinement barricadé. Certains en ont fait des cauchemars.
« Le but n’est pas de faire peur au monde, c’est de sauver des vies, dit le lieutenant Hugo Fournier, porte-parole de la SQ. On ne veut surtout pas créer de l’anxiété chez les jeunes. Souvent, il y a de l’anxiété au début de la formation, mais les participants se rendent compte que ce n’est pas traumatisant. »
La SQ recommande que les élèves et le personnel suivent l’exercice de confinement barricadé.