Croisade pour sauver un «joyau» de l’éducation

C’est le travail d’une vie. Un ouvrage décrit comme un « joyau unique ». Le Dictionnaire actuel de l’éducation, considéré comme une bible dans les facultés d’enseignement, est menacé de disparaître du patrimoine culturel québécois, faute d’éditeur pour en produire une version numérique.
Cette brique de 1554 pages a fait l’objet de trois éditions, dont une chez Larousse. L’auteur, le professeur émérite Renald Legendre, travaille depuis 12 ans sur une quatrième édition, mais il est au bout du rouleau. Au bord de l’épuisement.
Aucun éditeur ni aucun organisme subventionnaire ne veut financer la suite de ses recherches pour publier une quatrième édition — qui serait numérisée — de son Dictionnaire actuel de l’éducation. Cette indifférence du milieu intellectuel québécois est scandaleuse, estime Pierre Paradis, professeur retraité du Département des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR), qui a déjà collaboré à la rédaction de cet ouvrage.
« Je pars en croisade pour sauver ce joyau unique d’une mort certaine, dit M. Paradis. Je trouve honteux, voire scandaleux, que personne n’intervienne pour financer le Dictionnaire actuel de l’éducation. C’est un travail d’une très grande qualité scientifique qui s’en va possiblement aux oubliettes par faute de soutien financier. »
Travail de moine
À 76 ans, Renald Legendre travaille jusqu’à 10 heures par jour sur cette quatrième édition. Mais il n’a aucune subvention pour embaucher du personnel de recherche. Depuis sa retraite il y a une douzaine d’années, il n’a plus de bureau à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), où il a consacré sa vie à l’enseignement de la pédagogie. Il a déménagé 14 000 documents dans son garage et dans son sous-sol, chez lui à Boucherville. Faute d’espace, il a dû envoyer 10 000 de ces documents au recyclage.
« Je me sens en burn-out. J’ai peut-être trop travaillé là-dessus dans les dernières années. Mon médecin m’a dit de me reposer et de me changer les idées », dit Renald Legendre.
Cet ouvrage de référence dans la francophonie a été publié la première fois en 1993 chez Larousse. Deux autres éditions ont suivi chez Guérin Éditeur. La dernière édition remonte à l’année 2005.
Ce livre monumental recense 12 400 définitions sur les grands courants de pensée du dernier siècle en sciences de l’éducation. Les enseignants apprécient aussi les définitions de phénomènes qu’ils voient tous les jours en classe — dyslexie, déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, etc. On trouve même une définition des « compétences transversales », ce concept issu de la réforme de l’éducation du début des années 2000…
Compte tenu de l’évolution de la recherche et des technologies, notamment en intelligence artificielle, Renald Legendre estime qu’il devrait ajouter plus de 7000 définitions à son dictionnaire, pour en porter le nombre à 20 000. « Il est important de franciser le vocabulaire de la recherche. L’anglais gagne du terrain. Il y a de plus en plus de chercheurs québécois qui préfèrent publier dans des revues en anglais. Le Québec a été un précurseur en francisation, notamment par rapport à l’influence néfaste des Français, qui ont tendance à angliciser les termes », dit Renald Legendre.
Le Dictionnaire actuel de l’éducation fait encore partie des ouvrages cités dans le milieu de l’enseignement, mais il a besoin d’une nouvelle édition pour demeurer pleinement pertinent, estime Monique Brodeur, doyenne de la Faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM.
« Notre collègue Renald Legendre a fait un travail remarquable, mais son travail a besoin d’être mis à jour », dit-elle.
Une version numérique serait essentielle. Mais cela coûte cher à produire, un dictionnaire en version numérique. L’éditeur Guérin dit qu’il n’a pas les moyens de produire cette quatrième édition du Dictionnaire actuel de l’éducation. Il a remis ses droits d’auteur à M. Legendre.
Le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur n’a pas non plus de programme pour financer la publication du Dictionnaire, confirme un courriel transmis au Devoir.
Cet ouvrage devrait être au menu de l’Institut national d’excellence en éducation, que le ministre Sébastien Proulx projette de créer, estime le professeur Pierre Paradis. « L’accessibilité gratuite du dictionnaire dans un site Internet assurerait une survie inaltérable pour le futur. Y aura-t-il des commanditaires ou des mécènes advenant l’incurie et l’inertie persistante des ministères concernés ? »