Le nombre d’étudiants souffrant de déficience bondit dans les établissements postsecondaires

Sandra Doyon avait des difficultés à lire et à se concentrer. Elle a manqué de temps pour réussir un examen de mathématiques. Pas évident pour une étudiante à l’université. Le verdict d’une neuropsychologue est tombé récemment: trouble de déficit d’attention.
« Je suis maintenant considérée comme une étudiante en situation de handicap. Je n’ai jamais été aussi contente d’être handicapée ! », dit la mère de famille de 43 ans, qui fait un retour aux études en communication et marketing à l’UQAM.
Depuis que j’ai eu mon diagnostic, j’ai reçu de l’aide pour avoir une meilleure cohérence dans mes études. C’est fatigant, être TDAH. Je me réveille la nuit parce que j’ai trop d’idées. Quand je fais une recherche, j’ai trop de matériel. Et je me laisse distraire par mes enfants », ajoute-t-elle.
Sandra Doyon n’est pas la seule dans sa situation. La vague des élèves ayant des difficultés d’apprentissage atteint les cégeps et les universités. Le nombre d’étudiants « en situation de handicap », notamment à cause d’un déficit d’attention, a décuplé en enseignement supérieur depuis une douzaine d’années.
Au niveau collégial, un étudiant sur dix a besoin de services spéciaux et d’accommodements pour l’aider à réussir ses études. À l’université, cette proportion atteint 6,3 % des étudiants — dans les deux cas, c’est 10 fois plus qu’il y a une décennie.
Sources : MEES et Association québécoise interuniversitaire des conseillers aux étudiants en situation de handicap
Le Québec a fait un choix de société : ouvrir la porte aux études supérieures à des élèves qui auraient autrefois été susceptibles d’abandonner en cours de route, faute de soutien. Le gouvernement investit plus de 2 milliards de dollars par année pour accompagner les élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA) au primaire et au secondaire.
À la fin du secondaire, près d’un élève sur quatre (23,3 %) a un trouble d’apprentissage, selon le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur.
Cette cohorte se retrouve désormais sur les bancs des cégeps et des universités, mais les budgets de soutien aux étudiants n’augmentent pas au même rythme qu’au primaire et au secondaire. La Fédération des cégeps estime avoir besoin de 50 millions de plus par année pour soutenir les étudiants en difficulté.
Sources : MEES et Association québécoise interuniversitaire des conseillers aux étudiants en situation de handicap
« On a accompagné ces jeunes-là jusqu’au cégep, on ne peut pas les abandonner », dit Bernard Tremblay, président et directeur général de la Fédération des cégeps.
« Le cégep, c’est un droit. À partir du moment où on offre un service public à la population, on a l’obligation de l’offrir à toute la population, avec les services de soutien appropriés », ajoute le représentant des 48 cégeps du Québec.
Il rappelle que la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a émis dès 2012 un avis contre la discrimination envers les étudiants handicapés de niveau collégial — en plus d’avoir fait de nouvelles recommandations en 2015.
Handicapée et heureuse
Les universités ont aussi adopté des politiques d’aide aux étudiants ayant des besoins particuliers. Sandra Doyon fait partie des 14 652 étudiants universitaires qui se trouvent en « situation de handicap ». Elle s’est débrouillée toute sa vie malgré son déficit d’attention. Elle est créative, elle a du leadership et une grande capacité de synthèse.
Depuis son diagnostic, Sandra Doyon a de l’aide du Service d’accueil et de soutien aux étudiants en situation de handicap de l’UQAM. Elle a plus de temps pour faire ses examens. Elle peut les faire dans une salle à part. Elle a le droit d’écouter de la musique pendant ses examens. Elle peut les faire sur ordinateur plutôt que sur papier — pour éviter de remplir les pages de ratures. Elle prend aussi du Ritalin pour améliorer sa concentration.
« Les étudiants n’ont pas à dévoiler qu’ils sont en situation de handicap [à l’université], mais c’est rendu dans la culture d’en parler. Il y a beaucoup moins de gêne qu’autrefois », dit France Landry, professeure associée au Département de psychologie de l’UQAM. Cette spécialiste des situations de handicap aux études postsecondaires aide les étudiants comme Sandra Doyon qui ont un diagnostic de TDAH.
Elle offre des rencontres de deux heures, étalées sur six semaines, pour aider les étudiants à gérer leur temps. D’autres trucs sont possibles, comme le recours à un logiciel qui enregistre les cours, pour éviter aux étudiants d’être distraits par la prise de notes.
Agir plus tôt
La hausse du nombre d’élèves en situation de handicap alourdit la tâche des professeurs de cégep, nuance Nicole Lefebvre, vice-présidente de la Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (FNEEQ), affiliée à la CSN.
« Il faut offrir plus d’encadrement à ces étudiants, mais on n’est pas des spécialistes en psychoéducation, dit-elle. On reçoit une liste d’accommodements lors de chaque session. Par exemple, on a parfois la directive de ne pas s’adresser en classe aux étudiants anxieux pour éviter de provoquer une crise, mais il faut s’adresser directement aux étudiants qui ont un déficit d’attention. »
Tous ces accommodements sont fort utiles, mais restent insuffisants pour vraiment aider les étudiants du collégial ayant des besoins particuliers, estime Égide Royer, professeur associé à la Faculté des sciences de l’Éducation de l’Université Laval.
Il insiste sur l’importance d’investir encore plus dans le soutien aux élèves en difficulté du primaire et du secondaire : « Il est plus facile de construire des adolescents forts que de réparer de jeunes adultes brisés. »
Il propose que le financement des services aux élèves EHDAA se fasse sur un modèle commun au primaire, au secondaire et au collégial. Il y a une rupture de service au collégial, parce que les étudiants n’ont pas à révéler leur diagnostic de trouble d’apprentissage, rappelle le spécialiste.
Répartition des déficiences à l’université
Déficit d’attention | 36 % |
Santé mentale | 16 % |
Déficience multiple | 16 % |
Trouble d’apprentissage | 13 % |
Déficience organique | 7 % |
Déficience motrice | 6 % |
Déficience visuelle | 2 % |
Déficience auditive | 2 % |
Spectre de l’autisme | 1 % |
Trouble du langage | 1 % |
Sources : MEES et Association québécoise interuniversitaire des conseillers aux étudiants en situation de handicap