Financement des universités - De l'espoir à la déception

Au lendemain du budget du ministre des Finances, Yves Séguin, les universités n’avaient plus le coeur à rire. McGill comme les autres universités aimerait un hausse de son financement.
Photo: Jacques Grenier Au lendemain du budget du ministre des Finances, Yves Séguin, les universités n’avaient plus le coeur à rire. McGill comme les autres universités aimerait un hausse de son financement.

Fin du troisième acte. Le rideau est finalement tombé cette semaine sur la commission parlementaire qui a trituré pendant près de deux mois l'avenir de nos universités, qui se disent en péril. La mise en scène les avait remplies d'espoir, mais un coup de théâtre nommé budget, survenu en plein coeur de l'événement avec peu de réponses financières à des demandes de 375 millions, donne lieu à quelques mauvaises critiques... Toute cette orchestration aura-t-elle été vaine?

Pauline Marois, députée péquiste de Taillon qui porte le chapeau de critique en matière d'éducation, l'avait noté en début de commission parlementaire, à la mi-février. Toute cette opération, si charmante fût-elle, ne trouverait-elle pas sa «clé» dans le budget du ministre Yves Séguin? Fin mars, les clés de ce montage financier ont ouvert aux universités une partie des réponses: sur les 375 millions demandés pour concurrencer les universités canadiennes, le retour d'ascenseur est bien maigre.

«J'invite le ministre à faire en sorte que cette commission n'ait pas été vaine», poursuivait la députée Marois dans ses remarques finales, jeudi, dernier jour de la commission parlementaire. «Si l'éducation est une priorité pour le gouvernement, la démonstration reste encore à faire.»

Pendant 19 jours et 84 heures, les députés membres de cette commission de l'éducation auront entendu quelque 80 groupes différents, tous liés de très près ou d'un peu plus loin à l'avenir des universités. «Un exercice éclairant et stimulant», au dire du ministre de l'Éducation, Pierre Reid, qui n'a pas manqué une minute de ces débats. «Il s'est vraiment passé quelque chose ici au cours des dernières semaines», a poursuivi jeudi midi le ministre, appelé à formuler ses impressions finales sur l'ensemble de l'opération, qualifiant de fait «à valeur historique» la seule existence de cette commission.

Mais suffira-t-il au ministre de se gargariser du seul fait d'avoir réuni tous les acteurs du monde universitaire autour d'une commission pour être le centre d'une salve d'applaudissements? Au lendemain du budget du ministre des Finances, Yves Séguin, les universités — qui ont toutes défilé devant la commission avant le budget, précisons-le — n'avaient plus le coeur à rire.

«Nous sommes déçus», affirmait M. Lacroix quelques instants après le discours du budget, parlant à titre de président de la Conférence des recteurs et principaux d'université du Québec (CREPUQ). «Déçus et mécontents.» La CREPUQ, qui n'a pas la fougue de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) et qui a toujours en réserve quelques paires de gants blancs à enfiler avant d'oser affirmer sa colère, veut alors peut-être dire, lorsqu'elle prononce les mots déception et mécontentement, qu'elle est ravagée par les miettes que lui laisse le dernier budget? Et courroucée par les réponses du gouvernement à ses nombreuses demandes?

Pas d'argent neuf

Voyons ces miettes. Sur une galette de 307 millions de plus que l'an dernier octroyés à l'éducation, le gouvernement a consenti 125,7 millions de plus aux universités, une hausse de 6,3 % de leurs crédits. De généreuses miettes, diront peut-être certains. Une analyse attentive de la distribution de cette enveloppe permet de constater que le réinvestissement réel — de l'argent neuf destiné à développer et à ajouter des services — n'est pas pour cette année.

Car l'engouement pour les universités, qui composent avec des augmentations de clientèle depuis les dernières années, ne s'est pas démenti cette année non plus. Et la majeure partie de l'enveloppe de 125 millions d'augmentation aux universités — certains parlent de plus de 80 millions — sert exactement à financer ces variations de clientèle à 100 %, «ce qui n'a pas été une mince affaire», affirmait le ministre le jour du budget, admettant du coup que ces sommes ne venaient pas résoudre les problèmes de financement soulignés à grands traits rouges par les universités tout au long de la commission.

Quand on sait qu'une autre trentaine de millions servent à éponger les coûts de système des universités, on comprend bien les jeux de calculette décevants qu'ont faits les recteurs.

«C'est une grande déception, la majeure partie de cette somme passe aux augmentations de clientèle», commentait Robert Lacroix le soir du budget, sans emportement. «La commission parlementaire avait créé de telles attentes. Espérons que le premier ministre Jean Charest sera en mesure de dégager une marge de manoeuvre pour les universités cette année... »

Furieux — à la manière CREPUQ — à cause de ces 120 millions consentis par le budget, les recteurs auraient, paraît-il, profondément indisposé à leur tour le ministre de l'Éducation, qui attendait plutôt quelques chaleureux remerciements. Pourquoi? Revenons un brin en arrière, avant le budget, qui a cassé le rythme de la commission et refroidi quelques ardeurs.

Une suggestion...

25 février dernier. En fin d'après-midi d'une journée au programme chargé, Robert Lacroix étonne un peu tout le monde en proposant à la commission — à titre individuel, le seul qui ait eu ce loisir — une solution de trois pages aux maux financiers des universités. Échelonnée sur trois ans, la recette tenait sur un habile amalgame de hausse et d'indexation des droits de scolarité, additionné d'un réinvestissement accru de la part du gouvernement. Pour l'année 2003-04, M. Lacroix proposait une indexation des droits de scolarité à hauteur de 60 millions en plus d'une hausse du financement public de 60 millions, pour un joyeux total de... 120 millions.

«L'an prochain, moi, je pense que les universités peuvent absorber de façon efficace 120 millions de plus dans leurs budgets», affirmait le recteur. Après avoir réclamé pendant des mois 375 millions pour soulager les universités, le recteur ajoutait: «Si on en mettait 300 millions d'un coup, j'ai comme l'impression qu'il y aurait un peu de problèmes d'engorgement.»

Certains ont sursauté devant cette affirmation, pour le moins étonnante. Interrogé par Le Devoir à ce sujet au moment du budget fédéral, Robert Lacroix s'explique: «On a reçu 300 millions sur trois ans la dernière fois et c'était un rythme tout à fait gérable. S'ils nous donnaient l'argent, bien sûr qu'on trouverait les moyens de l'utiliser, mais vous voyez bien qu'ils n'ont pas cette capacité. [...] Il faut permettre à un gouvernement de trouver une façon de s'en sortir. Moi, je préférais lui dire: voici une façon intelligente de s'en sortir.»

Une semaine plus tard, le ministre Pierre Reid annonçait les 126 millions et confirmait la diminution de l'aide financière à hauteur de... 63 millions, ce qui correspond tout à fait à la suggestion que lui glissait le recteur de l'UdeM en guise de montant à tirer de la poche des étudiants.

Si la CREPUQ s'est dite déçue et étonnée, la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ), elle, n'a pas mâché ses mots pour décrire sa colère face à cet aval à l'endettement étudiant auquel Pierre Reid a souscrit, le reconnaissant lui-même sans ambages en conférence de presse la semaine dernière. «Le ministre ne sait même pas de quoi il parle avec ses 63 millions», affirmait cette semaine le tout nouveau président de la FEUQ, Pier-André Bouchard St-Amant. «Le gars a un doctorat en maths, pourtant c'est pas compliqué, il n'arrive pas à faire une simple règle de trois.»

Interpellant jeudi le ministre en pleine conférence de presse, M. Bouchard St-Amand s'est d'ailleurs montré sceptique par rapport au forum sur les cégeps, que M. Reid venait tout juste d'annoncer. «C'est bien beau les consultations que vous êtes en train de tenir, mais on a vu les résultats de ce que vous avez fait avec la commission parlementaire sur les universités. Qu'est-ce que vous répondez aux 240 000 jeunes que vous venez d'endetter?»

Les étudiants promettent en outre qu'ils joindront leurs voix à celles des autres groupes sociaux le 14 avril prochain, histoire de manifester leur grogne devant la façon qu'a ce gouvernement de mener le bal social.

Le ministre Pierre Reid a beau être vexé en coulisses de voir les universités faire la fine bouche sur ses 120 millions — n'a-t-il pas livré la marchandise? —, il convenait publiquement jeudi, au moment de boucler la commission avec ses remarques finales, qu'il n'avait pas donné autant que les universités le souhaitaient peut-être. «Il faut réinvestir. Je l'affirme, même si les crédits déposés la semaine dernière ne prévoient pas le réinvestissement souhaité, ce que je reconnais sans ambages. Mais je ne dois pas être le seul à estimer que, à défaut de réinvestir dès maintenant, nous investissons très significativement dans les universités. Et je ne me défile pas pour autant, je tiens seulement à préciser que notre commission n'a pas encore conclu et que l'année 2004-05 est encore jeune.»

Aurait-il donc en réserve quelques dizaines de millions qu'il sortira d'une boîte à surprise, certain de ravir là l'ensemble de la communauté? «Je n'en ai pas la moindre idée», explique le recteur de l'Université du Québec à Montréal (UQAM), qui se désole de l'attentisme de plusieurs face aux millions qui pourraient dormir à Ottawa. «La santé la mène, son offensive! Pourquoi pas l'éducation? Je ne peux pas croire que nous ne profiterons pas de tous les moyens dont nous disposons pour aller réclamer une partie de cet argent qui nous revient.»

Avec cette commission, les universités auront réussi à tout le moins à occuper l'avant-scène médiatique, poussant de nombreux médias à octroyer une large vitrine aux universités, peu abonnées aux manchettes. Après celles-ci, voilà que les cégeps passeront à cet exercice de remise en forme, qui se fera à travers un cyberforum plutôt que par l'entremise d'une commission parlementaire.

Ces opérations alimentent le débat social. Elles jouent un rôle d'éducation et permettent des mises au point. Mais sont-elles caduques lorsqu'elles donnent l'impression — traficotées par les semonces d'un budget — que les dés sont déjà jetés? «Avant ou après le budget, peu importe le moment où est survenue la commission parlementaire, nous avons fait ce que nous devions, c'est-à-dire démontrer l'importance du sous-financement des universités et ses effets pervers», explique Roch Denis. «Et je continue à espérer, à croire que le gouvernement va se mettre à l'ouvrage pour redresser nos bases de financement.»

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