Inverser la classe pour faire plus de pratique à l’école

Électrifier un quartier de Montréal : c’est la mission donnée à une trentaine de collégiens pendant un cours de physique au cégep Montmorency, à Laval. En équipe, les étudiants dessinent des circuits électriques grand format sur les tableaux blancs de la classe. Ils font des calculs élaborés. Ils calculent le nombre de lampadaires et de lignes électriques nécessaires pour illuminer la rue Le Royer.
Ce n’est pas la première fois que ces étudiants font ce type de résolution de problèmes. Il y a quelques semaines, ils devaient déterminer la distance à laquelle un requin peut détecter le champ électromagnétique d’une truite. Bientôt, ils devront concevoir et fabriquer le flash d’un appareil photo.
Si leur professeur, Sébastien Marcotte, a le temps de donner autant d’exercices pratiques à faire en classe, c’est grâce à la « classe inversée », une approche pédagogique qui renverse le principal paradigme en éducation.
« Habituellement, on parle de la théorie en classe et on fait la pratique à la maison, explique l’enseignant. Avec la classe inversée, on fait l’inverse. La théorie s’apprend à la maison par des vidéos, des lectures ou de la baladodiffusion. Ce qui laisse un maximum de temps en classe pour la pratique. »
De nombreux avantages
La classe inversée permet aux étudiants de faire des apprentissages plus profonds et durables que les cours magistraux, croit Vincent Laberge, coordonnateur des recherches sur les classes inversées à l’Université de Montréal. En classe magistrale, les élèves peuvent répéter et comprendre la matière du cours. En classe inversée, la matière est mieux maîtrisée. Elle est perçue de manière critique. Elle sert de base pour créer de nouveaux éléments.
Cette approche pédagogique bénéficie principalement au quartile le plus faible de la classe, alors que la performance des autres étudiants reste sensiblement la même, souligne M. Laberge. De fait, on observe entre 10 et 25 % moins d’échecs dans les classes inversées, selon les données d’une vaste revue de littérature, rapporte le chercheur. « Il y a toute cette dimension de l’apprentissage par les pairs qui entre en jeu, ce qui permet aux élèves d’intégrer la matière par différentes manières », explique-t-il.
La classe inversée pousse aussi les étudiants à travailler en équipe, confirme Audrey Raynault, étudiante au doctorat à l’Université de Montréal. La classe inversée est utilisée pour un cours regroupant des étudiants de 12 programmes en sciences de la santé à l’Université de Montréal. Après avoir fait des lectures en ligne sur le sujet, les étudiants doivent concevoir un outil d’éducation thérapeutique pour un cas clinique en équipes multidisciplinaires de cinq étudiants. Deux mois plus tard, les étudiants adaptent leur outil après des discussions avec un patient. Ce type d’exercices exerce les futurs professionnels de la santé qui auront à travailler à distance dans des équipes multidisciplinaires, croit Mme Raynault.
Les conditions du succès
Si la classe est « inversée », il faut tout de même la faire « de la bonne façon » pour qu’elle soit avantageuse, avertit Mme Raynault. Pour que l’étudiant soit motivé à apprendre la théorie à la maison, il doit y avoir un retour sur les notions, ainsi que des évaluations en classe. Autrement, c’est l’échec. L’apprentissage cesse. C’est du moins ce qu’a observé Mme Raynault à la suite d’une expérience réalisée à l’Université de Montréal.

De même, inverser la classe pour uniquement faire des devoirs en classe n’a pas de valeur ajoutée, selon Geneviève Caron, enseignante de physique au Collège Montmorency. Il faut coupler la classe inversée à des exercices qui rendent l’élève « actif ». Avec son collègue, Sébastien Marcotte, elle a monté une banque d’activités et de jeux permettant « d’entraîner ce muscle qu’est la mémoire ». Par exemple, les deux professeurs utilisent des jeux-questionnaires interactifs où les élèves répondent anonymement à une question à choix multiples, d’abord de façon individuelle, puis après consultation en équipe, afin d’évaluer leur apprentissage par rapport à la classe.
La classe inversée signifie plus de travail pour l’étudiant… mais beaucoup plus de travail pour l’enseignant, selon M. Laberge. Une charge de travail que M. Marcotte et Mme Caron ont expérimentée lorsqu’ils ont décidé d’adopter la classe inversée en 2014.
À moins d’une semaine de la rentrée, les deux professeurs ont décidé de monter leur cours théorique sur vidéos. « Je restais souvent après les cours sur mon temps personnel pour faire ces vidéos », explique M. Marcotte. Étant les pionniers de la classe inversée au collège, ils partent de zéro, ou presque. Et ils n’ont pas, comme le précise l’enseignant, une formation pour faire du montage vidéo.
Certaines ressources sont toutefois disponibles pour les enseignants qui décident d’adopter cette méthode pédagogique. « Il y a de plus en plus de vidéos de bonne qualité sur YouTube, créés par des enseignants qui ont déjà adopté la classe inversée », souligne M. Laberge. Une formation en ligne ouverte pour tous portant sur la classe inversée est également offerte par l’Université de Montréal. Mme Raynault ajoute que plusieurs communautés de professeurs partageant leurs astuces existent sur les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter.
Reste que la technique est peu utilisée. M. Laberge estime qu’environ 2 à 3 % des professeurs des cégeps et des universités de la province utilisent cette technique pédagogique. Des statistiques sont toutefois difficiles à établir, puisque ces enseignants ont beaucoup de liberté dans le choix de leurs techniques pédagogiques. Le chercheur évalue que ce nombre serait en hausse au cours des dernières années.