Développer une culture de la conduite responsable en recherche

Etienne Plamondon Emond Collaboration spéciale
La directrice du Bureau de la conduite responsable en recherche de l’Université de Montréal, Ghislaine Cleret de Langavant, se montre préoccupée par l’usage des données massives, souvent conservées et gérées à l’étranger par des multinationales.
Photo: iStock La directrice du Bureau de la conduite responsable en recherche de l’Université de Montréal, Ghislaine Cleret de Langavant, se montre préoccupée par l’usage des données massives, souvent conservées et gérées à l’étranger par des multinationales.

Ce texte fait partie du cahier spécial Recherche

L’Université de Montréal a créé un Bureau de la conduite responsable en recherche, une première dans un établissement d’enseignement supérieur au pays. Entrevue avec sa directrice, Ghislaine Cleret de Langavant.

Dans les universités, l’analyse de l’éthique de la recherche, portant sur le respect du bien-être et des droits des personnes ou des animaux qui en sont les sujets, est habituellement menée de manière distincte de celle de l’intégrité scientifique, relative à des questions comme la propriété intellectuelle, la falsification de données ou les conflits d’intérêts. L’Université de Montréal vient de regrouper sous un même chapeau les équipes travaillant sur ces problèmes dans son établissement. Son Bureau de la conduite responsable en recherche, qui a amorcé ses activités en janvier dernier, emploie actuellement une quinzaine de personnes.

L’approche est unique, d’autant plus qu’elle intègre aussi le volet de la santé et sécurité dans les laboratoires. Pourquoi donner à une seule structure la responsabilité de s’occuper de l’ensemble de ces enjeux ? « On vise à passer d’une éthique policière, où l’on applique strictement les normes qui existent, au développement d’une culture de la conduite responsable », explique Ghislaine Cleret de Langavant, directrice du Bureau de la conduite responsable en recherche. Les comités d’éthique de la recherche, soulève-t-elle, permettaient d’analyser si la démarche scientifique d’un projet se montrait conforme aux intérêts, à la sécurité et aux droits des sujets de la recherche. « Mais ils n’étaient pas en mesure de se positionner sur le contexte de la recherche dans lequel les chercheurs se trouvent actuellement, qui est de plus en plus compétitif, juge-t-elle. Lorsqu’on combine ces deux volets, qui sont distincts, mais liés dans le contexte, on est en mesure justement d’apprendre où il y a des besoins de sensibilisation, de formation et d’accompagnement pour pouvoir porter un regard sur l’évolution de la science ou d’un domaine de la recherche, ce qui n’est pas le cas quand c’est traité séparément. »

Parmi les phénomènes larges qui peuvent avoir des répercussions directes sur les pratiques, elle évoque notamment une économie du savoir propice aux conflits d’intérêts et la pression à laquelle sont soumis les chercheurs pour publier des articles, mieux connue sous l’expression « publier ou périr ». Cette dernière tendance a d’ailleurs accentué le fléau des revues prédatrices, de faux journaux scientifiques publiant de la bonne et de la mauvaise science moyennant une somme substantielle de la part de l’auteur.

Devant un manquement porté à son attention, la réponse du Bureau de la conduite responsable en recherche sera différente selon que la responsabilité incombe à un chercheur agissant comme un électron libre avec des intentions malveillantes, ou que le problème découle plutôt de la culture régnant dans le laboratoire, comme lorsque l’ensemble des acteurs concernés comprennent mal en quoi consiste un conflit d’intérêts.

La question des conflits d’intérêts apparaît révélatrice aux yeux de Mme Cleret de Langavant. Elle constate que plusieurs chercheurs manifestent une opinion négative au sujet de ces derniers, les assimilant la plupart du temps à de la fraude, tout en oubliant que ces situations peuvent souvent se présenter à eux, surtout dans le cas de recherches interdisciplinaires, et qu’ils risquent de tomber dans cette position sans s’en rendre compte. « C’est plutôt une question de les reconnaître pour mieux les gérer », rappelle-t-elle.

Ouvrir un dialogue

 

Depuis son entrée en poste, Mme Cleret de Langavant travaille sur une planification stratégique, en plus de se doter d’une vision d’ensemble de l’organisation des ressources, des processus et des objectifs à atteindre sous sa gouverne. Une fois que les bases seront bien plantées, elle souhaite amorcer un grand dialogue avec l’ensemble de la communauté universitaire.

« Lorsque l’on parle du développement d’une culture, cela demande une participation active de la communauté scientifique », insiste la directrice. Dans sa démarche visant à mieux faire connaître l’existence du Bureau, elle va actuellement à la rencontre des différents départements et facultés pour écouter leurs besoins et leurs attentes en la matière. « Il y a une perception très négative de l’éthique. Ce n’est pas vu comme un levier pour leur permettre de mieux faire leur recherche », explique-t-elle.

L’un de ses défis consistera justement à surmonter la méfiance souvent entretenue envers les instances gardiennes de l’éthique dans les établissements universitaires. « On est vus comme des technocrates ou des empêcheurs de tourner en rond qui ne sont pas là pour les soutenir ou les aider, alors que, dans le fond, c’est quelque chose qui est dans l’intérêt de tout le monde. » Elle souhaite que les chercheurs comprennent mieux, à l’avenir, les raisons des cadres réglementaires, afin qu’ils ne les voient plus simplement comme des contraintes qui leur sont imposées.

Accompagner la réflexion sur des enjeux émergents

 

À travers ce dialogue avec la communauté universitaire, elle espère aussi nourrir les réflexions sur des enjeux éthiques qui émergent, notamment avec l’apparition de nouvelles technologies. Elle se montre préoccupée par l’usage des données massives, souvent conservées et gérées à l’étranger par des multinationales. « Cela soulève des questions par rapport à notre capacité de prévoir les conséquences de leur utilisation et de nous assurer que ce soit cohérent avec nos valeurs et les objectifs que l’on se donne », indique-t-elle.

Elle souhaite aussi lancer une discussion autour de l’intelligence artificielle, pour laquelle elle préfère l'expression « intelligence numérique ». « Cela amène de nouveaux enjeux ou en exacerbe certains qui existaient, souligne-t-elle, tout en rappelant que ces avancées vont permettre à ce qu’une action soit faite en dehors de la volonté du concepteur de l’outil. Donc c’est important de se donner les moyens d’accompagner ces développements plutôt que de se limiter à des comités d’éthique de la recherche locaux. Il faut penser à d’autres façons de réfléchir ensemble et de délibérer entre nous pour aller dans la même direction. » Les débats au sujet du développement de l’intelligence artificielle concernent l’ensemble de la planète. Mais comme le Québec constitue une plaque tournante dans le domaine de l’apprentissage profond et que des sommes considérables sont octroyées par nos gouvernements à la recherche dans ce domaine, elle croit « qu’on a une responsabilité qui accompagne le fait que ça se fait ici, chez nous ».

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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