Enseignant: une profession en pleine mutation

Ce texte fait partie du cahier spécial École publique
Plusieurs professeurs sont au bout du rouleau, et les difficultés à enseigner viennent parfois à bout des plus passionnés, prévient la présidente de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), Louise Chabot. En effet, faute de valorisation, de 25 à 30 % des enseignants décrochent dès la première année de leur carrière.
« Il y a une souffrance enseignante. On ne parle plus de compressions, mais les sommes qui sont réinvesties ne viendront jamais corriger les impacts énormes des coupes », rappelle Louise Chabot. Elle souligne notamment que la composition de la classe ordinaire s’est largement modifiée ces dernières années et que beaucoup d’élèves avec des difficultés s’y trouvent aujourd’hui plus qu’avant : « Dans le tiers des classes ordinaires de l’école publique, les enseignants sont confrontés à des élèves qui nécessitent une approche individuelle. Pour aider à la réussite, il faut soutenir les enseignants dans leur autonomie professionnelle, valoriser leur travail tout en augmentant le personnel de soutien pour les accompagner eux, aussi bien que les élèves. »
Hasard du calendrier, cette entrevue accordée au Devoir a eu lieu le 5 octobre dernier, Journée mondiale de l’enseignement. « Aujourd’hui,on prend le temps de saluer le travail extraordinaire et exemplaire des 65 000 enseignants québécois », lance la présidente de la CSQ, qui soutient qu’il est important d’épauler tout le personnel des écoles, « une profession qui malheureusement, et malgré les beaux mots, se fait malmener… On attend toujours de voir dans la pratique comment une certaine reconnaissance se réalisera. »
Un enfant n’est pas une statistique
Louise Chabot prône un retour à une vision humaine de l’éducation, bénéfique tant aux enfants qu’aux enseignants. « Quand le ministre, Sébastien Proulx, est arrivé, on a plaidé pour une vision globale en éducation, une vision qui présente une perspective d’avenir et qui redonne un sens à la mission », rappelle la présidente. Si, aujourd’hui, on n’en a que pour la nouvelle politique de réussite éducative, on oublie que, l’an dernier, le gouvernement a adopté le projet de loi 105 visant à modifier la Loi sur l’instruction publique. Mme Chabot estime que ce dernier ne répond pas aux enjeux actuels de l’éducation. L’idée de la réussite éducative est incompatible avec la gestion axée sur les résultats. « Un élève, ce n’est pas une statistique », fustige-t-elle.
Si la CSQ n’a rien contre le fait de vouloir diminuer le décrochage scolaire et d’augmenter les taux de réussite, elle s’inquiète en effet que des objectifs chiffrés puissent être fixés.
« Quand le projet éducatif, qui est la pierre angulaire de l’école, fait en sorte que ces objectifs deviennent quantifiables, ça peut nous amener à des dérives autant dans les méthodes d’apprentissage que dans l’autonomie professionnelle ou en pédagogie, croit Louise Chabot. À partir du moment où le quantitatif domine le qualitatif, et qu’on fait face à une gestion axée sur la performance, est-ce qu’on ne va pas vouloir présenter des chiffres qui sont acceptables ? Ça met une pression énorme sur le personnel enseignant, qui pourrait se sentir obligé de modifier les notes des élèves. »
Selon Louise Chabot, il faut procéder autrement en redonnant du sens aux savoirs et à l’expérience du personnel scolaire afin de les mettre au service de la réussite.
Et les enseignants dans tout ça ?
Au Québec, entre 25 et 30 % des enseignants décrochent dans la première année, et ce pourcentage monte à 50 % dans les cinq premières années de carrière. Ces chiffres sont tirés d’une étude présentée en 2014 par Esther Létourneau du ministère de l’Éducation, et se basent sur les cohortes de professeurs embauchés entre 1992 et 2011. « C’est simple, ce que les enseignants demandent, c’est de la reconnaissance, de la valorisation et de la stabilité… », lance Louise Chabot.
Si les raisons de l’abandon de la profession sont multiples, il ne faut pas oublier la charge émotionnelle qu’un enseignant ressent à se retrouver devant un groupe d’enfants jour après jour. Selon Steve Bissonnette, professeur au Département d’éducation à la TELUQ, cette charge peut facilement devenir extrêmement négative si l’enseignant a du mal avec la gestion de sa classe. « Ils nous le disent : “Je veux enseigner, mais je n’y arrive pas” », raconte le professeur. Pour lui, il est important que la gestion de classe soit enseignée lors du bac, mais aussi que les enseignants puissent en profiter lors d’ateliers de formation continue. De plus, ces cours doivent être axés bien sûr sur la théorie, mais aussi beaucoup sur la pratique : « Ils doivent impliquer des mises en situation et des jeux de rôles. Par des présentations de leçons d’enseignement, on observe des situations en classe et ensuite on en discute. Ainsi, les futurs profs pourront faire face à un groupe et se sentir moins démunis. »
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