Pleins feux sur Platon, Shakespeare et compagnie

C’est un pari osé, en cette ère de communications en 140 caractères : un demi-siècle après la disparition des collèges classiques, une toute petite maison d’enseignement remet au goût du jour les Platon, Shakespeare et Machiavel dans le but d’offrir une culture générale aux diplômés issus des réformes successives de l’éducation.
Le Collège néo-classique, affilié au Collège universitaire dominicain d’Ottawa, vise les professionnels de 25 à 45 ans qui — de leur propre aveu — manquent de culture générale et de perspective historique. Ce collège, fondé en 2010, offre une formation d’appoint appuyée sur les grands classiques, peu enseignés désormais dans les systèmes d’éducation québécois et canadien.
« La culture générale, l’histoire des grands principes, l’histoire des institutions, ça peut servir à la prise de décisions dans l’espace public, dans l’espace politique et social », dit le père Maxime Allard, cofondateur du Collège.
Un peu de recul historique, ça peut aider à repérer les fausses nouvelles, à éviter la démonisation de l’autre et à faire le tri dans l’avalanche d’informations issues du Web, souligne-t-il.
Cet homme de foi est un religieux pas comme les autres, les deux pieds solidement ancrés dans la société : il est professeur de philosophie et de théologie et président du Collège universitaire dominicain d’Ottawa. Sa filiale, le Collège néo-classique, offre aussi des cours à Montréal, dans le couvent des dominicains, chemin de la Côte-Sainte-Catherine.
« Nos systèmes d’éducation sont très tournés vers une formation de techniciens. Il y a un besoin, un appétit, pour une perspective historique plus large, pour être capables de repenser les enjeux sociaux, de construire correctement un argumentaire et de baser ça dans une culture générale enrichie », dit Guillaume Lavoie, cofondateur du Collège néo-classique, chargé de cours à l’ENAP et conseiller municipal sortant dans le quartier Rosemont.
Combler un « trou »
Chaque saison, le Collège offre une dizaine de sessions de formation d’une ou deux journées où les enjeux d’actualité sont analysés à la lumière des grands classiques, « des Grecs jusqu’à avant-hier », dit en riant le père Allard. L’établissement ne décerne pas de diplôme, mais peut offrir des crédits reconnus par la maison mère, le Collège universitaire dominicain. Les petits groupes d’une douzaine d’étudiants sont formés de fonctionnaires, de médecins, d’avocats, de journalistes, de politiciens et d’autres professionnels qui aspirent à une meilleure profondeur d’analyse dans le cadre de leur travail.
« Il y a un trou dans la formation générale au Québec. Quand tu diriges, quand tu gouvernes, il faut pourtant que tu sois capable d’exprimer ta pensée en plus de 140 caractères ! » dit Esther Lapointe, directrice générale du Groupe femmes, politique et démocratie (GFPD).
Cet organisme, qui veut stimuler la présence des femmes en politique, est abonné aux formations en rhétorique du Collège néo-classique. Des dizaines d’élues ou d’aspirantes élues, à tous les paliers politiques, ont suivi ces cours qui enseignent l’art de « communiquer pour convaincre ».
« On n’apprend pas ça à l’école, devenir politicienne. Les femmes, on ne veut pas froisser les gens, mais on se fait attaquer par nos adversaires en politique. Il faut apprendre à se faire une carapace », dit Sonia Baudelot, candidate à la mairie de Laval.
Cette femme de 44 ans a suivi une formation du Collège néo-classique pour apprendre à argumenter. Diplômée du Collège de Bois-de-Boulogne en sciences humaines, directrice de vol pour une société aérienne, Sonia Baudelot avait besoin de ce recul historique pour se sentir plus à l’aise en politique.
Renée Rouleau, mairesse de la petite municipalité de Saint-Georges-de-Clarenceville, en Montérégie, a suivi la même formation en rhétorique. En étudiant les discours et le parcours de personnages comme Jules César, Shakespeare, John F. Kennedy, Churchill, Obama et Mandela, pour ne nommer qu’eux, la mairesse de 56 ans dit avoir appris à mieux argumenter pour mieux servir ses 1100 concitoyens. Sa maîtrise en administration publique et son baccalauréat en urbanisme ne l’avaient pas tout à fait préparée au métier de politicienne.
« Au Québec, on fait rarement référence à l’histoire. Il faut regarder ce qui s’est fait de génial avant nous et s’en inspirer », dit-elle.