Des chaires réservées aux chercheurs à l’étranger

Le gouvernement fédéral s’est lancé à la recherche d’universitaires à travers le monde pour diriger de nouvelles chaires de recherche. Il cherche partout… sauf au Canada. Ce critère d’embauche soulève surprise et questionnements au sein de la communauté universitaire du pays.
Profitant du 150e anniversaire de la Confédération, le gouvernement Trudeau a en effet prévu d’investir 117,6 millions dans le Programme de chaires de recherche Canada 150 afin de « rehausser la réputation du pays en tant que centre mondial d’excellence en sciences, en recherche et en innovation ». Or, seuls les chercheurs en poste à l’étranger, y compris les Canadiens expatriés, peuvent poser leur candidature.
« L’idée est intéressante et personne ne peut être contre la vertu, mais c’est décourageant pour les jeunes chercheurs, doctorants ou professeurs contractuels de se voir exclus alors que les universités embauchent de moins en moins ces dernières années », se désole François Dominic Laramée, qui signe une lettre ouverte à ce sujet dans la page Idées du Devoir.
Le doctorant en histoire à l’Université de Montréal (UdeM) s’inquiète des conséquences d’un tel investissement, s’imaginant mal comment de nouveaux postes pourront être créés pour les chercheurs canadiens dans les établissements qui accueilleront les chaires en question.
« J’y aurais réfléchi à deux fois avant de faire mon doctorat ici, sachant qu’on va plutôt créer des postes pour des gens de l’étranger », confie-t-il.
Le président de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU), Jean-Marie Lafortune, se montre néanmoins rassurant. Il rappelle que l’argent alloué au programme fédéral ne représente « qu’une mince portion du financement réservé à la recherche au Canada ».
En effet, les chercheurs ont accès à plus de trois milliards de dollars de financement annuellement par l’intermédiaire d’autres programmes de subventions, précise Ann-Marie Paquet, porte-parole de la ministre des Sciences, Kirsty Duncan.
Pour le gouvernement, « il est essentiel d’attirer et de retenir au pays des chercheurs talentueux. [C’est] une occasion unique [pour le Canada] d’exploiter ses forces en tant que destination de choix pour les chercheurs [qui permettront] des percées pour le bien-être des Canadiens. »
Les candidats, provenant exclusivement de l’étranger, ont ainsi jusqu’au 15 septembre pour manifester leur intérêt. Les 15 à 35 chercheurs sélectionnés en fin de course auront un an pour entrer en poste. Le programme leur offrira un financement, non renouvelable, sur une période de sept ans.
Manque de talent ?
De son côté, le professeur à l’UdeM Vincent Larivière s’explique difficilement « quel problème ou enjeu canadien ce programme vise à régler » en allant chercher essentiellement des candidats hors Canada, signalant que le pays a l’un des taux de collaboration internationale les plus élevés et accueille de nombreux étudiants étrangers.
« C’est une forme de discrimination positive vis-à-vis d’un groupe que l’on ne peut pas vraiment qualifier de marginalisé, à savoir les chercheurs seniors établis à l’étranger », note le titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les transformations de la communication savante.
L’annonce a ainsi jeté un froid au sein de la communauté universitaire, laissant entendre que les chercheurs canadiens n’avaient pas assez de talent pour occuper ces postes, soutient M. Lafortune. « Ça lance le message que ces gens vont être accompagnés de méthodologies de recherche supérieures à celle du Canada, affirme-t-il. C’est une déconsidération de nos pratiques de recherches nationales. » « Pourquoi faire venir ces chercheurs de l’étranger, alors que la collaboration à l’internationale nous apporte déjà leur expertise ? »
Professeur à l’Université du Québec à Chicoutimi, Sylvain Hallé ne partage pas complètement son opinion. « Plutôt que de démarrer à zéro un domaine de recherche ici et d’attendre plusieurs années qu’un noyau productif se forme, ça peut être intéressant pour une institution d’aller chercher l’expertise d’un professeur à l’étranger », lance-t-il.
C’est une déconsidération de nos pratiques de recherches nationales
Et après ?
Le financement du programme n’étant pas renouvelable, certains s’inquiètent de l’avenir des nouvelles chaires de recherche une fois la période de sept ans écoulée.
« Qui va hériter des postes au bout des sept ans ? Les universités ne bénéficieront plus du financement du fédéral, est-ce que cela va se terminer là pour ces candidats vedettes, ou bien les universités devront trouver l’argent pour maintenir ces chaires en place ? » se questionne M. Lafortune, à l’instar de plusieurs de ses confrères. « Les projets d’envergure, ça demande un salaire élevé et de bonnes conditions générales, donc de l’argent pour les outils, les laboratoires, des ordinateurs performants, et toute une équipe de recherche. »
Interrogé à ce sujet, le gouvernement souligne que les 53 établissements canadiens susceptibles d’accueillir une des chaires doivent « décrire [dans leur candidature] le plan prévu pour garantir la pérennité de la chaire et le maintien du titulaire à son poste après la période de financement ».
Financer des « chercheurs vedettes »
L’annonce de cet investissement en avril dernier n’a pas manqué de raviver le débat sur le financement de la recherche au Canada. Jean-Marie Lafortune et plusieurs de ses collègues estiment que le gouvernement a tendance à encourager les grands noms en leur réservant la majorité des subventions. « Ça n’existe pas, la recherche individuelle, il faut une communauté de chercheurs pour mener à bien des projets d’envergure. »
S’il reconnaît que ces « chercheurs vedettes » sont capables de rassembler des équipes pertinentes et dynamiques et récoltent ainsi la grosse part des subventions, il note qu’ils ne sont pas pour autant plus productifs en matière de publications et de référencement comparativement aux autres, citant plusieurs études sur le sujet.
« Au Québec, 10 % des chercheurs reçoivent près de 60 % du financement de la recherche. […] Il faut éviter la concentration du financement de recherche vers certains chercheurs, certains domaines, ou même certaines universités, sinon c’est contre-productif. »
« Jeu diplomatique »
Derrière cette volonté d’enrichir la recherche scientifique, c’est un « jeu diplomatique » qui prend forme avec cette subvention, croit M. Lafortune. « Il y a un certain opportunisme de la part des politiciens qui vont attirer les personnes qui veulent faire de la recherche en Amérique du Nord en leur offrant de belles conditions. »
La conjoncture internationale profite en effet au Canada, selon Vincent Larivière. Le climat d’incertitude au Royaume-Uni en raison du Brexit ou encore les politiques migratoires restrictives aux États-Unis endent « ces deux pays moins attirants, voire repoussants pour les chercheurs », au bénéfice du Canada.
Pour la présidente du Syndicat des chargées et chargés de cours de l’Université du Québec à Montréal, Marie Blais, le programme revêt surtout une dimension économique. « Tous les pays sont dans cette course pour attirer le plus d’étudiants étrangers dans leurs universités, parce qu’il y a des retombées économiques importantes, ils vivent ici et étudient ici, à des frais plus élevés. Il leur faut donc des vedettes. »