Des parents veulent mettre fin à la «ségrégation scolaire»

Des parents lancent un mouvement pour mettre fin à la « ségrégation scolaire » qui crée un « système à trois vitesses ». La sélection des élèves et le financement public des écoles privées menacent selon eux l’égalité des chances des Québécois et doivent cesser.
Le Mouvement L’école ensemble récolte d’emblée un appui de taille, celui de Guy Rocher qui signe une lettre ouverte en nos pages. L’éminent sociologue y reprend le terme fort de « ségrégation » pour décrire la séparation physique des enfants plus fortunés ou plus doués des autres, une véritable « démission collective », écrit-il.
Les classes ordinaires de l’école publique se sont vidées peu à peu des meilleurs élèves. Un « écrémage scolaire », comme le nomme Stéphane Vigneault, coordonnateur de L’école ensemble, intensifié par l’essor de l’école privée. Puis avec les programmes particuliers sélectifs, eux aussi en nette augmentation pour « compétitionner l’école privée sur son propre terrain ».
Ce sont aujourd’hui 41 % des enfants qui se retrouvent soit en classe privée ou sélectionnés pour des classes publiques particulières, le « programme international » par exemple.
Une proportion qui dépasse nettement le « point de rupture », avertit M. Vigneault, citant le taux de décrochage scolaire au secondaire « figé » à 25 % et un taux d’analphabétisme fonctionnel alarmant de 53 %.
La moyenne générale des élèves québécois aux examens internationaux « diminue ou, au mieux, stagne », ajoute l’instigateur du mouvement. C’est que le clivage dans les classes entraîne une diminution du taux de réussite pour l’ensemble des élèves, affirme d’ailleurs un comité d’experts du ministère de l’Éducation dans un rapport de 2014.
Interrompre la spirale
La volonté « d’offrir le meilleur à nos enfants » est très compréhensible, admet quant à elle Anne-Marie Boucher. Mais c’est précisément cette course individuelle qui accélère le phénomène. Et pour réparer ce système « brisé, inefficace et inéquitable », reprend M. Vigneault, il faut mettre fin à tout financement public direct ou indirect (les crédits d’impôt pourdon, notamment) de l’école privée. La sélection doit aussi cesser, au primaire et au secondaire.
Ceux qui sont exclus de ces sélections, soit par manque de moyens, soit par un apprentissage « régulier » ou à besoins particuliers, commencent une spirale vers le bas. Les classes ordinaires s’alourdissent, ce qui renforce encore davantage l’attrait du privé et des projets particuliers.
Ces enfants intériorisent en outre leur « infériorisation », souligne Mme Boucher. Elle a enseigné à l’école secondaire qu’elle avait elle-même fréquentée. L’expérience l’a renversée : à la première année du secondaire, elle observe que les enfants des classes ordinaires et particulières sélectives se ressemblent, mais que, « avec les années, la différentiation se voit ».
Même dans la salle des professeurs, cette mère de famille constate « un effet d’étiquetage très fort », ce qui a potentiellement un effet sur la manière d’enseigner. C’est alors une prophétie qui s’autoréalise, craint-elle. L’effet Pygmalion (ou Golem, selon les sources) est largement documenté : un enfant qui ne croit pas en ses propres capacités, et qui reçoit peu d’estime de la part du personnel enseignant, verra ses résultats chuter.
Que faire alors avec son enfant doué dans le système scolaire ? Comment le stimuler intellectuellement sans accroître la « ségrégation » ? « Contrairement à la croyance populaire, les élèves les plus performants ne sont pas rabaissés en étant avec les autres. Mais les autres ont besoin des plus performants pour se faire tirer vers le haut », assure Stéphane Vigneault. Les apprentissages enrichis pourraient être intégrés au sein d’une classe unique, d’une part, avec la consolidation d’autre part de l’aide en difficulté. « On ne veut pas offrir moins, on veut offrir mieux pour tout le monde », conclut Anne-Marie Boucher.