Les universités se transforment, mais est-ce pour le mieux?

Ce texte fait partie du cahier spécial Acfas
En 2009, la ministre de l’Éducation de l’époque, Michelle Courchesne, proposait le projet de loi 38, qui aurait eu pour effet d’obliger les universités à avoir au minimum 60 % de membres externes dans leurs conseils d’administration. Selon les opposants à la législation, cela aurait eu pour effet de limiter grandement l’indépendance des universités et de transformer ces milieux de savoir en lieux obéissant aux lois du marché. Devant l’importante levée de boucliers, le projet de loi avait été abandonné.
Depuis décembre 2016, l’Université de Montréal (UdeM) revit le même scénario. « Sous le prétexte de vouloir réduire la redondance des processus administratifs, le Conseil universitaire de l’UdeM a adopté un projet de réforme de sa Charte qui accordera un pouvoir déterminant à des administrateurs externes, affirme Marianne Kempeneers, professeure au Département de sociologie, vice-présidente du syndicat des professeurs de l’UdeM et membre de l’assemblée universitaire. Ce qui est proposé reprend dans les grandes lignes l’esprit du projet de loi 38. Entre autres, la définition de “membre indépendant” [ou externe] qui est un copier-coller de ce qu’on retrouvait dans le défunt projet de loi. »
Cette situation préoccupe la communauté universitaire de l’Université de Montréal et des autres universités. Elle fait l’objet d’un colloque qui se déroulera dans le cadre du Congrès de l’Association francophone pour le savoir (Acfas), les 8 et 9 mai.
Des contradictions
Dans la réforme proposée, Mme Kempeneers déplore qu’un des buts soit de diminuer la participation des professeurs au fonctionnement de l’université. « Pourtant, l’un des volets de notre contrat de travail stipule que le professeur doit participer au fonctionnement de l’institution et s’exprimer sur les grandes orientations. » Il y a là une contradiction.
Autre contradiction potentielle : la définition du conflit d’intérêts. Selon la réforme, l’administrateur externe ne doit pas se trouver en conflit d’intérêts personnel. « Or, s’il vient du milieu des affaires, il va nécessairement avoir une vision orientée de ce que doit être l’université. »
Lors des discussions qui ont eu lieu jusqu’ici sur cette réforme, Mme Kempeneers déplore qu’il ait toujours été impossible de connaître les véritables intentions des dirigeants. « Lors de l’assemblée universitaire, ils refusent toute discussion sur la vision d’ensemble qui sous-tend cette réforme », dit-elle.
Mme Kempeneers craint que cette réforme de la Charte ait des répercussions sur l’ensemble des universités canadiennes. Une enquête de l’Association canadienne des professeurs et professeures d’université confirme ses appréhensions. Selon cette étude datant de septembre 2016, le secteur privé occupe une place croissante dans la gouvernance des grandes universités canadiennes. Banquiers, avocats, dirigeants d’entreprises et autres acteurs du monde des affaires représentent désormais 49 % des membres des conseils d’administration des 15 universités de recherche.
Le recteur Guy Breton mentionnait dans un communiqué de presse de l’Université de Montréal, datant du 1er février dernier, qu’il souhaitait que son projet soit soumis à l’Assemblée nationale du Québec le 7 février pour adoption. Or, un article du Devoir du 7 février mentionnait que, devant les protestations des membres de l’assemblée universitaire, le recteur avait dû reporter ce projet. On parle maintenant d’une adoption avant la fin de l’année 2017.
Des transformations aux grandes conséquences
Maxime Ouellet, professeur à l’École des médias de l’UQAM, soutient que cette réforme discutée à l’Université de Montréal est le reflet des transformations qui s’opèrent au sein des établissements universitaires dans le contexte de la crise structurelle dans laquelle le capitalisme est plongé depuis une quarantaine d’années.
Selon lui, cette marchandisation du savoir s’accompagne d’une transformation institutionnelle au sein des universités et dans la pratique des professeurs et des étudiants. Cela se décline en cinq axes. D’abord, par la réforme de la gouvernance. « Cette réforme se traduit par une gouvernance de plus en plus exercée par des membres extérieurs à l’université », dit M. Ouellet. C’est le modèle que l’on veut adopter à l’Université de Montréal et qui pourrait se retrouver dans d’autres universités québécoises.
Le deuxième axe touche à la réforme du financement. Le gouvernement sous-finance depuis des années les universités, affirme M. Ouellet et elles se voient de plus en plus forcées de se tourner vers le privé pour se financer. Cela a une incidence notamment sur la recherche universitaire. « La recherche devient vouée à des fins économiques », poursuit M. Ouellet. La recherche fondamentale se trouve ainsi marginalisée au profit de la recherche appliquée et connectée sur les besoins de l’entreprise privée. Cette réforme touche aussi aux droits de scolarité. « La hausse de ces frais force les étudiants à agir comme des individus qui désirent le salaire plutôt que le savoir », dit-il.
Le troisième axe consiste en la réforme de la pédagogie et des programmes. « On assiste à une professionnalisation de la formation et non plus à la formation professionnelle, dit M. Ouellet. Les compétences priment la connaissance. »
Le quatrième axe a trait à la mise en place de mécanismes d’assurance qualité. « L’éducation devient un marché qui s’internationalise, dit M. Ouellet. Le phénomène en Europe qui consiste à uniformiser l’ensemble des pratiques éducatives est en voie de s’exporter ici. On valide ainsi le mécanisme du marché. »
Le dernier axe concerne la privatisation de la connaissance. Puisque la recherche universitaire vise de plus en plus à satisfaire les besoins de l’entreprise privée, « on remet des brevets à des recherches financées publiquement », dit le professeur.
Ces cinq axes ne semblent pas avoir de lien entre eux et, pourtant, il y a une cohérence structurelle dans tout cela, selon M. Ouellet. « Depuis 2008, le discours dominant des dirigeants dit qu’il faut favoriser l’innovation technoscientifique. On présente cela comme s’il s’agissait de la seule voie de sortie », termine-t-il.
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