Le calendrier scolaire comme champ de bataille

Estelle Sanfaçon a profité de sa semaine de relâche pour faire de la photo dans le Vieux-Montréal.
Photo: Estelle Sansfaçon Estelle Sanfaçon a profité de sa semaine de relâche pour faire de la photo dans le Vieux-Montréal.

Faire relâche ? Ce n’est pas Estelle Sanfaçon, 14 ans, qui s’en plaint. La jeune ado était au repos forcé toute la semaine, comme des centaines de milliers de jeunes québécois. Elle a profité de ces cinq jours de congé pour faire comme tout le monde, c’est-à-dire pas grand-chose. Enfin si, voir ses amis, regarder les écrans, tout ce qui compte aussi et divertit.

Estelle s’est aussi adonnée à son passe-temps favori, dont on voit le résultat en illustration de cet article. « Je suis allée au centre-ville, je me suis promenée dans le Vieux-Montréal et j’ai pris beaucoup de photos, explique-t-elle. C’est bon de faire une petite pause entre Noël et la fin des cours, en juin. »

Son école, le collège Mont-Saint-Louis, dans le nord de l’île de Montréal, devrait donc être rechargée à bloc à la nouvelle rentrée lundi. Certains de ses amis, encore plus chanceux, ont quitté le pays pour la Floride ou la Californie.

Ainsi va la vie scolaire en ce continent-ci. La semaine de relâche, largement pratiquée dans tous les systèmes d’enseignement, jusque dans les universités, prend différents noms d’un océan à l’autre, du nord au sud : vacances d’hiver ou du printemps, pause de mars, semaine de lecture, relâche scolaire, et évidemment le fameux spring break, que l’on peut traduire indifféremment par destination clubbing, objectif beuverie, jours de débauche ou semaine des trois « s » : soleil, salsa et salacité…

« La semaine de relâche est née dans les années 1980 dans la région de Québec parce que, de toute façon, pendant ce temps, il y avait un fort taux d’absentéisme dans les écoles, parmi les enfants comme parmi les enseignants », explique le professeur Clermont Gauthier, de l’Université Laval, un des rares chercheurs à s’être intéressés au temps scolaire. « Cette pause fait maintenant l’affaire de tout le monde, ou presque. Je pense qu’on ne reviendrait pas en arrière. Je suis d’ailleurs d’avis qu’il pourrait aussi y avoir une semaine de relâche à l’automne et qu’on pourrait réduire les vacances d’été d’autant. »

Lui-même a passé la semaine de relâche à Paris, où il assistait à une « conférence de consensus » du Centre national d’évaluation du système scolaire, « l’équivalent de notre Conseil supérieur de l’éducation, avec une posture encore plus neutre ». La rencontre portait sur le thème de la « différenciation pédagogique », soit une manière « d’exploiter les différences et d’en tirer avantage ».

Trois fois passera

 

Les débats liés au temps scolaire peuvent se concentrer autour de trois axes principaux : l’horaire quotidien, les vacances et la durée de l’année pédagogique.

La journée. Estelle Sanfaçon, élève de deuxième secondaire, entre en classe à 8 h 20. L’an prochain et jusqu’à la fin de ses études au collège, le début des cours se fera à 9 h 25. Ce choix s’explique d’abord et avant tout par un manque d’espace à la cafétéria, qui ne pourrait accueillir tous les élèves du Mont-Saint-Louis en même temps. Peu importe, l’effet semble bénéfique puisque l’association des pédiatres américains a diffusé en 2014 un avis, basé sur le temps de sommeil des adolescents, recommandant aux écoles secondaires de ne pas commencer les classes avant 8 h 30.

L’été. Le professeur Gauthier explique que notre calendrier scolaire de septembre à juin a été construit pour des nations agricoles à une époque où les jeunes fournissaient des bras pour les récoltes. Des pays et des écoles ont depuis adopté un calendrier annuel. Un modèle particulièrement apprécié et déjà adopté par plus du quart des écoles californiennes fait alterner 45 jours de classe à une période de 15 jours de repos appelée intersession. D’autres modèles préfèrent des cycles de 60 ou 90 jours de classe pour 15 ou 30 jours d’intersession. Ces solutions modernes réduisent notamment le temps dit de désapprentissage de l’été.

L’année. Dans un article coécrit pour le livre Le temps en éducation (PUL, 2001), le professeur Gauthier rappelle que le calendrier en vigueur au Québec comme ailleurs en Amérique du Nord est le résultat de transformations imposées au début du dernier siècle. Ici, assez étrangement, le temps passé à l’école primaire par année n’a cessé de diminuer : il était de 205 jours en 1905, de 191 jours en 1956 et il est de 180 jours aujourd’hui. Aux États-Unis, par contre, la fréquentation moyenne de la petite école est passée de 99 jours en 1900 à 161 jours en 1979 et à 180 jours en 1991. Ce seuil demeure, avec une moyenne de 6,5 heures d’école pour ces 180 jours de calendrier.

La progression états-unienne, passant presque du simple au double, ne satisfait pas tout le monde pour autant. Au contraire.

 

« Chaque fois qu’un groupe, une province, un État ou un pays réussit moins bien dans un test international, une crise se pointe autour du calendrier scolaire, explique M. Gauthier. C’est ce qui s’est passé aux États-Unis en 1983 : les élèves américains ont réussi moins bien que les Japonais, et les groupes de pression financés par les riches fondations ont sorti un rapport intitulé A Nation at Risk. L’étude montrait que les jeunes américains étudient moins et qu’il fallait donc en faire plus. »

Le National Center on Time and Learning (NCTL) se consacre entièrement à faire augmenter le temps d’apprentissage moyen aux États-Unis. L’organisme, fondé à Boston il y a dix ans, publie un rapport bisannuel. Le dernier, paru en 2015, citait la Floride comme leader national de la hausse du temps d’apprentissage, particulièrement dans les écoles défavorisées de l’État.

« En fait, le temps n’exerce qu’un effet modéré sur l’apprentissage des élèves, conclut encore le professeur. Le simple fait d’accroître le temps passé en classe ne suffit pas à améliorer les résultats des élèves. En plus, augmenter le calendrier scolaire coûte une fortune, dit le spécialiste. Ce qui compte beaucoup plus, à mon avis, c’est la qualité du temps passé en classe, le time on task. Commençons donc par ce bout. Peut-être qu’il se fait beaucoup de gaspillage de temps. »

 

Ce texte fait partie de notre section Perspectives.

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