Québec dit non aux services de garde gratuits pour tous

Aussitôt proposée, aussitôt rejetée. Les services de garde de 0 à 4 ans devraient être gratuits pour tous les enfants, peu importe le revenu des parents, comme l’enseignement primaire et secondaire, fait valoir la Commission sur l’éducation à la petite enfance. Le ministre Sébastien Proulx n’est pas d’accord.
La modulation des tarifs de garde en fonction du revenu familial, décrétée par le gouvernement Couillard, représente un frein à la réussite éducative des enfants à un âge crucial pour leur développement, affirme le groupe de travail financé par l’Association québécoise des centres de la petite enfance (AQCPE).
Les services de garde éducatifs sont de qualité « passable », avance le rapport rendu public mardi, 20 ans après la création du réseau de centres de la petite enfance (CPE) par le gouvernement du Parti québécois alors dirigé par Lucien Bouchard. La Commission recommande que tout le personnel éducateur des services de garde subventionnés détienne un diplôme d’études collégiales en techniques d’éducation à l’enfance.
La Commission propose que tous les services éducatifs des enfants de 0 à 16 ans, de la garderie jusqu’au cégep, relèvent d’un même ministère. Le gouvernement devrait considérer les garderies comme un service éducatif comme les autres. « Les principes généraux d’universalité, de gratuité et d’accessibilité » doivent s’appliquer aux services éducatifs à la petite enfance, note le rapport.
« Actuellement, ces principes-là circulent, mais les gestes [politiques] les détruisent ou les fragilisent », a dit André Lebon, président de la Commission, lors d’un point de presse mardi. Psychoéducateur de formation, il a aussi réalisé une cinquantaine de mandats depuis 30 ans à titre de consultant dans les services à l’enfance, ainsi qu’en santé mentale et en milieu autochtone.
« C’est une question de cohérence. Les experts nous ont dit que le continuum éducatif commence de 0 à 5 ans. Pour nous, il y a une grande incohérence à élever des barrières tarifaires à l’entrée de ces services-là », a ajouté l’avocat Pierre Landry, membre de la Commission. Martine Desjardins, ex-leader étudiante et ex-candidate péquiste qui détient une maîtrise en sciences de l’éducation, a aussi pris part à la Commission — qui a entendu 23 experts, 135 groupes et reçu 167 mémoires ou commentaires écrits.
Non à la gratuité
Le ministre de la Famille, de l’Éducation, du Loisir et du Sport, Sébastien Proulx, a dit être d’accord avec certaines recommandations de la Commission, mais pas celle prônant la gratuité pour les services de garde.
« Les services de garde éducatifs […] n’ont jamais été gratuits. Il faut savoir qu’il n’y a pas grand-chose de gratuit dans notre société », a-t-il réagi en marge des travaux de l’Assemblée nationale.
« Il y a effectivement une contribution parentale qu’on a amenée, nous, à ce qu’elle était au moment où les services de garde ont été mis en place il y a 20 ans — à peu près 20 % [de la facture]. C’est presque 500 millions de dollars qui viennent effectivement des parents et qui permettent de soutenir les activités des services de garde, activités qu’on entend bonifier, parce qu’il faut investir en qualité », a ajouté le ministre.
La Commission soutient que l’implantation des maternelles à 4 ans en milieu défavorisé doit se poursuivre en complémentarité avec les services de garde. Elle recommande que les élèves choisis pour la maternelle à 4 ans n’aient fréquenté aucun service de garde — ce qui représente 36 % des enfants de 4 ans.
Le psychologue et ex-député péquiste Camil Bouchard exprime des réserves par rapport à cette recommandation. « Ça crée deux classes de contribuables : un service scolaire gratuit à 4 ans et un service de garde éducatif à 4 ans qui ne l’est pas. Il y a une anomalie qu’il faut corriger. On peut le faire en offrant immédiatement la gratuité à tous les enfants de 4 ans, peu importe le système », dit-il.
Économies par le privé
L’économiste Pierre Fortin, de son côté, se réjouit de l’insistance sur la qualité du système éducatif à la petite enfance — mis à mal par les compressions budgétaires et par le développement accru des garderies privées, souligne-t-il.
Les études canadiennes accordent une note « passable » au réseau québécois à cause de la piètre performance des garderies privées, selon lui. Les CPE, eux, sont très efficaces, non seulement pour éduquer les enfants, mais pour aider les femmes à percer le marché du travail. Pierre Fortin critique sévèrement les décisions purement « comptables » des trois dernières années.
« Pourquoi ils ont augmenté les crédits d’impôt remboursables et augmenté les tarifs demandés aux parents dans les garderies à contribution réduite ? C’est parce que, pour chaque enfant qui passe d’un CPE à une garderie privée à but lucratif, le gouvernement met 25 $ dans sa poche. Une place dans un CPE lui coûte 45 $ de subvention et le crédit d’impôt remboursable pour une garderie privée lui coûte 20 $. Ces 25 piasses qu’il met dans sa poche, c’est ça, le coût de la qualité. C’est ça qu’il faut relever, avant la gratuité. »