La CSDM élargit l’inclusion des élèves en difficulté

La Commission scolaire de Montréal (CSDM) prend des mesures pour intégrer en classe ordinaire davantage d’élèves ayant des « difficultés d’apprentissage » parfois graves comme des déficits d’attention, des déficiences intellectuelles ou de l’autisme, a appris Le Devoir.
Ce mot d’ordre d’intégrer des élèves ayant des retards parfois importants soulève des inquiétudes chez les enseignants du primaire et du secondaire. Déjà à bout de souffle, des enseignants affirment que cette « volonté d’inclusion sans nuances » leur impose une tâche pour laquelle ils n’ont pas les compétences. La pénurie de professionnels — orthophonistes, psychologues, etc. — ajoute aux craintes des enseignants.
La présidente de la CSDM, Catherine Harel Bourdon, a confirmé au Devoir qu’un projet-pilote inédit prendra place l’an prochain dans trois écoles primaires (La Petite-Patrie, La Visitation et Montcalm) : des classes spécialisées pour enfants ayant des difficultés graves d’apprentissage deviendront des classes ordinaires. Le but : offrir à ces élèves les services d’orthophonistes, d’orthopédagogues et de psychologues dans les classes ordinaires pour « éviter de stigmatiser » ces enfants différents de leurs amis, explique la présidente de la CSDM.
« Le professeur qui avait une classe DGA [difficultés graves d’apprentissage] va supporter l’intégration d’élèves dans une classe régulière », a dit Catherine Harel Bourdon en entrevue avec Le Devoir.
La CSDM dit avoir étudié trois cohortes récentes d’élèves issus de classes spécialisées au primaire et au secondaire. « Aucun de ces élèves n’a obtenu une qualification ou un diplôme, dit-elle. On veut s’inspirer des commissions scolaires anglophones, qui ont des taux de réussite et de persévérance plus élevés que nous. Le modèle, c’est que les spécialistes, les orthopédagogues, les psychoéducateurs, les orthophonistes vont dans la classe régulière. »
L’école doit être plus « inclusive » pour les élèves différents, dit Catherine Harel Bourdon. La CSDM est une des commissions scolaires qui comptent le plus de classes spécialisées, en raison de sa clientèle unique : les deux tiers de ses élèves vivent en milieu défavorisé, 20 % ont des difficultés d’apprentissage et la moitié de ses élèves ont une langue maternelle autre que le français. La CSDM compte s’assurer que des élèves placés en classe spéciale ne sont pas pénalisés par leur statut particulier, précise la présidente de la plus grande commission scolaire au Québec.
« Ça ne se fera pas du jour au lendemain. On ne va pas commencer à fermer des dizaines de classes pour les transférer en classe régulière, mais, s’il y a des enfants qui sont hypothéqués parce qu’ils sont dans une classe DGA et qu’ils ne sortent jamais de cette classe-là, là on a un problème, comme institution », dit-elle au Devoir.
« On a besoin d’argent pour ajouter des ressources, mais on doit aussi faire les choses différemment. S’il y a des choses qui ne fonctionnent pas, on ne va pas mettre des ressources ad vitam aeternam sur des choses où l’élève ne sort jamais avec un diplôme ou une qualification », ajoute-t-elle.
Sur le dos des élèves
Cette accélération du virage « inclusif » à la CSDM fait bondir des enseignants et des syndicats. Ils voient là une opération de « bricolage » visant à faire des économies sur le dos des élèves. « Je les ai tous entendus, leurs beaux discours. Ils veulent faire croire que c’est inclusif, mais ils laissent tomber les élèves », dit Nathalie Morel, vice-présidente à la vie professionnelle à la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), qui représente 34 000 enseignants.
Je suis à bout de souffle. Pour la première fois en 13 ans, j'envisage de changer de métier.
Elle-même enseignante au primaire, elle dit avoir vu l’impact de l’intégration en classe ordinaire d’élèves en grandes difficultés d’apprentissage, depuis 15 ans. Dans certaines classes, plus du tiers des élèves ont des troubles de comportement, de l’autisme ou une déficience intellectuelle. Tout le monde y perd, selon elle : les enseignantes sont incapables d’aider les élèves en difficulté et les élèves normaux.
« L’idéologie de l’inclusion totale laisse entendre que la classe spécialisée, c’est une punition. Au contraire, c’est une façon de dire à l’élève : “Je prends soin de toi !” », dit-elle.
L’inquiétude règne aussi à l’Alliance des professeures et professeurs de Montréal. Des séances de formation sur la « flexibilité pédagogique », données par la CSDM depuis le mois de décembre, alimentent les craintes des enseignants, confirme Frédérique Lecourt, de l’Alliance. « Les enseignants se font dire comment aider les élèves qui ont de graves difficultés d’apprentissage dans leurs classes régulières, s’insurge-t-elle. La CSDM cherche à intégrer davantage d’élèves ayant des problèmes de plus en plus graves, mais vit une pénurie de professionnels spécialisés en adaptation. C’est de l’intégration sauvage. »
À bout de souffle
Des enseignantes ont confié leurs inquiétudes au Devoir. « Je suis à bout de souffle. Pour la première fois en 13 ans, j’envisage de changer de métier », dit une enseignante d’une école d’un quartier défavorisé de Montréal. Dans sa classe de première année, 11 des 19 élèves ont déjà de grands défis d’apprentissage : 8 proviennent de classes d’accueil d’immigrants (et parlent difficilement le français), 2 ont un déficit d’attention et une élève a un trouble du spectre de l’autisme. Cette dernière ne parle pas et comprend très peu les directives de l’enseignante. Elle est généralement calme et passive, mais vit des crises d’anxiété qui la font parfois crier et pleurer en classe, raconte son enseignante.
Cette école a perdu tous ses professionnels qui aidaient les enseignants et les élèves : l’orthopédagogue a pris sa retraite. Son poste a été affiché, mais personne ne l’a pris. La psychoéducatrice a obtenu un poste dans une autre école. L’orthophoniste des classes spécialisées en autisme est aussi partie. Même la directrice adjointe a changé d’école.
La présidente de la CSDM dit souhaiter que le gouvernement Couillard appuie financièrement l’aide aux élèves en difficulté dans le prochain budget, qui doit être déposé au cours du printemps. La commission scolaire dépense 22 millions de plus que ce qu’elle reçoit à ce chapitre, souligne-t-elle.