La parole et l’écoute pour prévenir l’intimidation en bas âge

Etienne Plamondon Emond Collaboration spéciale
Lorsqu’elle était enseignante, Elourdes Pierre avait instauré une approche pour prévenir l’intimidation, la violence verbale et le rejet.
Photo: Frédérique Ménard-Aubin Lorsqu’elle était enseignante, Elourdes Pierre avait instauré une approche pour prévenir l’intimidation, la violence verbale et le rejet.

Ce texte fait partie du cahier spécial Éducation - Réseau scolaire

La voix douce, le timbre posé et le ton sans urgence, Elourdes Pierre pose des questions. Les élèves répondent. Certains expriment leur détresse, d’autres prennent conscience de la détresse provoquée chez les autres par leurs gestes ou leurs paroles. La professeure les incite à se raconter et à s’expliquer en groupe. Mais surtout, elle les écoute, même lorsque la situation semble sans gravité du point de vue d’un adulte.

Ces scènes, capturées sur pellicule par le regretté cinéaste Marcel Simard dans le documentaire Le petit monde d’Elourdes, montre l’atmosphère que l’enseignante avait su créer dans sa classe de premier cycle du primaire à l’école alternative Nouvelle-Querbes, à Outremont, afin de dénouer des conflits et favoriser l’empathie. Une approche qu’elle avait instaurée pour prévenir l’intimidation, la violence verbale et le rejet.

Après la fusillade dans une mosquée de Québec, le 29 janvier dernier, « c’est d’autant plus important », souligne Mme Pierre en entrevue avec Le Devoir. Son approche, mieux connue depuis la diffusion du film en 2010, a fait école. Elle n’enseigne plus à temps plein depuis trois ans, mais continue à animer des formations et des conférences, en plus de participer à divers projets dans le domaine de la prévention de la violence, sous toutes ses formes, chez les enfants en bas âge.

Mme Pierre et son conjoint, Alain Simard, ont créé en 2016 une bourse baptisée à son nom pour encourager la recherche dans le domaine. Le 22 février prochain, cette bourse d’excellence de 2000 $ sera ainsi accordée à un étudiant des cycles supérieurs de la Faculté de l’éducation de l’UQAM, dont la thèse de maîtrise ou de doctorat abordera des thèmes en lien avec le respect, le dialogue, la lutte contre l’intimidation et la dynamique socio-affective dans les classes.

« Il ne faut pas que ce soit une mode : il faut que cela fasse partie de la culture de l’école au même titre que l’enseignement du français et des mathématiques. C’est vital. Dans tous les milieux où l’on intervient, cela doit être présent. »

Une approche développée avec les années

 

Son approche, Elourdes Pierre l’a peaufinée avec les années. Elle se rappelle ses débuts, à l’école Enfant-Soleil de Saint-Laurent, où ses classes étaient composées en grande partie d’enfants réfugiés originaires du Vietnam, du Laos et du Cambodge, « qui avaient un grand besoin d’être sécurisés ». Plusieurs arrivaient à l’école sans avoir déjeuné. Lorsqu’une collation était servie, certains se ruaient sur celle-ci de peur de manquer de quoi manger. « Parfois, cela créait des bagarres entre eux, évoque-t-elle. C’était un contexte où j’ai dû justement prendre le temps d’amener les enfants à parler et à comprendre qu’ils n’avaient pas besoin de se bousculer. »

Elle précise avoir compris rapidement que son rôle ne devait pas se limiter à l’enseignement, mais tendre vers l’éducation dans son sens plus large. « Mais de là à l’instaurer de manière systématique, c’est venu au fil du temps, à force de vivre certaines situations difficiles pour les enfants, explique-t-elle. J’ai dû m’arrêter à plusieurs reprises pour dire aux enfants : “ Nous avons un problème. Il faut se parler et trouver une solution ”. » Elle soulève néanmoins la nécessité de s’ajuster chaque année, selon les élèves et la dynamique de la classe, pour mieux harmoniser le vivre-ensemble.

Climat de confiance

 

France Capuano, titulaire de la Chaire de recherche Robert Sheitoyan sur la prévention de la violence et du décrochage scolaire, participera à une table ronde sur le sujet à la salle Pierre-Mercure, le 22 février prochain, lors d’une soirée où des extraits du film Le petit monde d’Elourdes, aujourd’hui difficile à trouver, seront projetés. « Ce qui est intéressant dans son approche, c’est la place qu’elle accorde aux conflits que les enfants vivent au quotidien », souligne Mme Capuano. Dans le film, par exemple, Elourdes dirige une discussion entre de jeunes filles en conflit, alors que l’une d’elles refuse qu’une autre achète un cahier identique au sien.

« Souvent, à l’intérieur de ces conflits, les enfants se sentent délaissés, rejetés et ils vivent de la tristesse, précise Mme Capuano. Ce sont souvent des émotions que les adultes vont banaliser au quotidien. Quand on n’accorde pas beaucoup d’importance à ce qui se passe chez les enfants et à l’intérieur du groupe, c’est souvent là que se construisent les bases de l’intimidation. »

Quelle était la principale clé de la démarche d’Elourdes Pierre ? « Il faut avant tout développer une relation de confiance avec les enfants pour qu’ils sentent qu’ils peuvent exprimer ce qu’ils vivent et ce qu’ils ressentent, sans censure et sans jugement, affirme Mme Pierre. On entre dans un contexte d’écoute, d’ouverture et également de respect envers ce qu’ils ont à dire. Et on les amène à être en mesure de respecter ce que les autres ont à dire, parce que c’est à nous, avant tout, de donner l’exemple. Si l’enfant sent qu’il est respecté dans ce qu’il dit, dans ce qu’il vit, il va être plus disponible et va mieux comprendre l’importance d’écouter les autres. »

L’observation, dans la classe, mais aussi dans la cour d’école ou dans la rue, lui semblait aussi un aspect crucial. Elle rappelle l’importance de mettre à contribution l’équipe-école, dont le soutien des psychologues, des orthopédagogues et du personnel de service de garde peut se révéler précieux, mais aussi de travailler de concert avec les parents, qui connaissent les comportements de l’enfant dans un autre contexte.

Elle souligne aussi la nécessité de prendre le temps de dialoguer avec les élèves pour connaître ce qu’ils vivent le jour même, soit en aménageant l’horaire afin de mieux répondre à leurs besoins spécifiques ou en arrêtant le cours si un enfant pleure ou une dispute éclate. « Il faut suivre le programme, mais le ministère ne nous dit pas comment et à quel moment enseigner la matière. Nous avons cette liberté. Et il faut la prendre. »

L’approche d’Elourdes Pierre semble engendrer des répercussions à long terme, selon les témoignages qu’elle a reçus de parents, d’autres professeurs, ainsi que d’anciens élèves, plusieurs années après leur passage dans sa classe. « Récemment, il y a une jeune femme qui m’a dit que ce qu’elle avait appris à l’école lui permettait même de traverser beaucoup de difficultés dans son milieu de travail, signale-t-elle. Parce que l’intimidation, sous toutes ses formes, se vit aussi dans les milieux de travail. » Comme quoi il est possible de prévenir, dès le plus jeune âge, la détérioration de conflits dans le monde adulte.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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