Le prix à payer pour introduire un cours d’économie

Pour faire de la place au nouveau cours obligatoire d’éducation financière, qui sera donné dès l’automne prochain aux étudiants de 5e secondaire, le ministre envisage de couper dans le cours Monde contemporain ou dans les cours à options, a appris Le Devoir, des scénarios qui soulèvent inquiétudes et frustration chez les professeurs.
Le 24 novembre dernier, le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, écrivait une lettre aux présidents et directeurs de l’ensemble des commissions scolaires du Québec pour officialiser son intention de rendre obligatoire le cours d’éducation financière dès septembre prochain. « Il m’apparaît important que les élèves acquièrent des habiletés de base en matière de gestion de leurs finances personnelles afin qu’ils puissent évaluer de façon éclairée les choix qui s’offrent à eux et ainsi adopter des comportements responsables qui leur seront bénéfiques dans tous les aspects de leur vie », peut-on lire dans la lettre dont Le Devoir a obtenu copie.
« C’est pourquoi j’ai l’intention de rendre obligatoire, dès septembre 2017, le cours d’éducation financière qui est actuellement offert en option aux élèves de 5e secondaire dans certaines écoles. Je vous invite donc à prendre en compte cette orientation dans l’élaboration de la grille horaire. »
Le ministre était toutefois incapable de préciser comment cela se traduirait dans la grille horaire, affirmant que « des précisions seront communiquées à cet égard ».
Scénarios
Depuis, le ministre a mené des consultations auprès de différents milieux — directions d’école, commissions scolaires, enseignants — pour déterminer où trouver les 50 heures nécessaires dans une grille horaire qui n’est pas élastique.
Selon plusieurs sources, trois scénarios ont alors été présentés lors d’une conférence téléphonique qui a eu lieu le 5 décembre dernier. Le premier scénario consiste à aller puiser les 2 unités (25 heures pour une unité) dans les cours à option. Ainsi, cela réduirait le nombre d’heures de cours optionnels, que ce soit des cours d’art, de chimie ou de langues.
Les deux autres scénarios viennent amputer de moitié le cours Monde contemporain, un cours d’éducation citoyenne qui s’articule autour des principaux enjeux et problèmes mondiaux : mondialisation, interventions en zone de conflit, intensification des mouvements migratoires, changements climatiques, capacité d’agir des États, rapports de force mondiaux, etc.
Complémentaires
« Dans notre enseignement de ce cours, nous visons notamment à doter nos élèves de clés de lecture ou d’intelligibilité leur permettant graduellement de mieux saisir la complexité du monde dans lequel ils vivent, de même qu’à développer leur sens critique, bref, à bien les outiller culturellement et intellectuellement de façon à ce qu’ils puissent participer à la conversation démocratique », explique Daniel Rouillard, enseignant de Sherbrooke, et l’un des six signataires d’une lettre ouverte au ministre de l’Éducation.« Nous souhaitons vous faire part d’une inquiétude que nous jugeons légitime, écrivent-ils. Les deux cours que sont Éducation financière et Monde contemporain ne devraient en aucun cas être concurrents, mais, bien au contraire, complémentaires. »
Impacts
Ces enseignants ne sont pas les seuls à s’inquiéter. Au cours de la consultation téléphonique, la semaine dernière, plusieurs invités ont clairement affirmé au sous-ministre adjoint que les trois scénarios évoqués étaient problématiques. « On nous a présenté trois scénarios et on essayait de nous faire choisir, déplore Nathalie Morel, vice-présidente à la vie professionnelle de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE). Comme d’autres représentants des enseignants, j’ai refusé de me prononcer si rapidement, sans même avoir eu la chance de consulter les membres que je représente. Parce qu’il y a des impacts sur les tâches des professeurs qui vont donner le nouveau cours, mais également sur ceux qui vont peut-être perdre des cours. »
Elle rappelle que dans plusieurs écoles à vocation particulière, il n’y a déjà pratiquement plus de marge de manoeuvre dans les matières à option. Elle demande au ministre « d’écouter les gens sur le terrain » et de prendre le temps nécessaire pour « s’assurer que l’ensemble du parcours de la formation générale des élèves de 5e secondaire reste équilibré ».
Même son de cloche à la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE). « Avec ce qu’on nous présente comme scénarios, moi je ne parle pas de l’ajout d’un cours d’économie, mais plutôt du retrait d’un cours d’histoire (Monde contemporain) ou de français langue seconde pour les jeunes anglophones qui n’ont pratiquement plus de place dans les cours à option », dénonce la présidente, Josée Scalabrini.
En entrevue au Devoir, le ministre Proulx a réitéré son intention d’aller de l’avant en septembre, mais refuse de commenter les divers scénarios, affirmant qu’une décision serait prise et transmise dans les commissions scolaires « très bientôt ».
Mais il est conscient que sa décision risque de faire des mécontents. « Je ne pense pas que je vais trouver le scénario qui va plaire à tout le monde pour la rentrée 2017. Il y a les tenants du “ on ne fera rien parce qu’il faut y réfléchir encore longtemps ”, mais ces cours-là n’auraient jamais dû cesser, ils vont reprendre, et on va trouver la meilleure formule pour les inclure dans le régime pédagogique. »