L’école à l’examen: «L’éducation comme un moteur de société» (7/8)

«Il faudrait complètement revoir la formation des maîtres.»
Photo: Annik MH de Carufel Le Devoir «Il faudrait complètement revoir la formation des maîtres.»

Pourquoi le système scolaire québécois produit-il autant de décrocheurs ? Faut-il mieux former les enseignants ? Après avoir sillonné les régions tout l’automne, une nouvelle consultation publique pour « moderniser le système d’éducation » se termine à Québec le 1er décembre. De quelle école la société québécoise a-t-elle besoin ? Les réponses de huit observateurs et artisans dans cette série qui se poursuit avec Mathieu Côté-Desjardins, ancien professeur. Propos recueillis par Isabelle Porter.

Si vous étiez ministre, quelle serait la priorité de votre mandat ?

D’abord, nous avons une obligation morale envers les Québécois de démontrer simplement et efficacement la mystification qui s’est faite par le ministère de « la déséducation » depuis les dernières décennies. Vous savez, toutes ces statistiques trafiquées qui nous permettent de penser que « ça passe encore », qu’on fait quand même « une bonne job » et de nous illusionner qu’on peut continuer à agir de la sorte encore pendant un bout de temps avant d’être pris au dépourvu…

De l’autre côté, j’aurais certainement des enveloppes budgétaires prévues pour des projets dits expérimentaux en éducation, projets expérimentaux ici, mais ayant déjà fait leurs preuves à l’international. […]

Que faut-il changer dans l’actuel système d’éducation ?

J’engagerais l’ancien professeur Pierre Demers, qui est l’auteur d’une série en quatre tomes sur l’éducation humanisante. Il propose d’utiliser l’éducation comme un moteur de société. Il explique comment bâtir du sens nous ramène à la racine de ce qu’est « éduquer » pour avoir un impact autant dans la famille que dans la société. Il faudrait en outre complètement revoir la formation des maîtres (voir plus bas).

Que faut-il conserver dans l’actuel système d’éducation ?

Certains établissements scolaires (sans moisissures S.V.P.) pourraient perdre leur côté « entrepôt, usine ou CHSLD pour jeunes » pour devenir des lieux plus vivants et disponibles à des projets éducatifs d’une grande variété, bien plus pertinents et cohérents pour notre jeunesse actuelle que ce qu’est l’école d’aujourd’hui.

Les maux du système sont-ils liés à un manque de ressources ?

Peu importe la quantité d’argent lancée au problème, tant qu’on ne retourne pas à la racine de ce qu’est « éduquer », on ne peut rien vraiment accomplir qui vaille quelconque mention. Je parle, par exemple, de retrouver une sensibilité pour l’enfance, sur ce que cela signifie pour la vie et l’importance de la vivre pleinement, de préserver à tout prix la capacité d’émerveillement des enfants, de donner tout l’oxygène nécessaire à la créativité et à l’imaginaire des jeunes, ou encore de cesser ce génocide de « génies » dans les écoles, etc. Cela ne peut s’acheter, tout comme un intérêt viscéral et altruiste pour la jeunesse qui est en voie d’extinction chez tant d’adultes.

Faut-il repenser la formation des maîtres ?

Il y a déjà longtemps qu’on aurait dû se mettre à la réinventer. D’abord, un système de sélection sur la base de notes scolaires ne devrait même pas être considéré, ni même être perçu comme novateur. Au contraire, il s’agit d’un moyen on ne peut plus obsolète, tout comme son diplôme qui suivra, ce qui laisse passer entre ses mailles beaucoup… beaucoup trop d’individus n’étant point dignes d’être en contact avec des jeunes.

La valeur et la considération qu’on accorde à l’enfance et aux enfants sont généralement proportionnelles au standard exigé de la qualité des maîtres. Ayons un peu d’intégrité envers nous-mêmes et appelons-les comme il se doit : non pas des maîtres, mais à l’opposé, des serviteurs de parents et de politiques déséducatives bien enlisées dans l’ADN des parents.

Ne serait-ce pas le temps de revoir ce qu’est un « maître », au lieu de continuer à vider de son essence ce qualificatif — jadis inspirant le respect et bien plus — en l’associant depuis trop longtemps à du n’importe quoi. Bien que bien des gens croient que le maître n’est que cérébral, les grands maîtres ont un grand travail fait au niveau du coeur. En Chine ancienne, on disait « qui est intelligent est compatissant ». De plus, il faut s’assurer que le système favorise les « maîtres » ayant un grand sens critique, tout en ayant une d’ouverture d’esprit considérable. Ces deux axes sont primordiaux. Actuellement, le système scolaire nourrit, entretient et protège le contraire, et ce, à tous les niveaux.

L’idée de mettre au programme de la formation des maîtres tous les courants éducatifs existants, présents et passés, y compris autant la pédagogie anarchique (qui au fond se veut éminemment humaniste), tout comme la sagesse de grands personnages historiques, de grandes époques de l’humanité, de différents pays, sagesse découlant de la spiritualité ou non, deviendrait un « must ».
 

Mathieu Côté-Desjardins se fait remarquer en 2010 avec sa websérie La déséducation. Désabusé par son expérience de jeune professeur au primaire, il décrit dans ce projet toutes les tares du système d’éducation québécois avec le concours de figures comme Benoît Dutrizac et le Dr Julien. La websérie est suivie, deux ans plus tard, par la Rééducation, qui porte davantage sur des solutions. Mathieu Côté-Desjardins a depuis délaissé le réseau de l’enseignement et se consacre à des conférences et du tutorat.


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