L’école à l’examen : «Je ne peux m’empêcher de rappeler le travail de la commission Parent» (5/8)

Pourquoi le système scolaire québécois produit-il autant de décrocheurs ? Faut-il mieux former les enseignants ? Après avoir sillonné les régions tout l’automne, une nouvelle consultation publique pour « moderniser le système d’éducation » se termine à Québec le 1er décembre. De quelle école la société québécoise a-t-elle besoin ? Les réponses de huit observateurs et artisans dans cette série qui se poursuit avec Normand Baillargeon, philosophe et auteur de nombreux livres sur l’éducation. Propos recueillis par Lisa-Marie Gervais.
Si vous étiez ministre, quelle serait la priorité de votre mandat ?
Sans hésiter, ce serait de mettre sur pied ce que j’appellerais une commission Parent 2.0. Politiquement non partisane, elle serait formée de personnes crédibles et indépendantes à l’égard tant des partis politiques que des divers lieux de pouvoir en éducation, lesquels en mènent parfois bien trop large. Cette commission serait assistée dans son travail par un indispensable comité scientifique, capable de l’éclairer par des données probantes partout où cela est possible et souhaitable. Son mandat serait d’abord de combler cette carence conceptuelle, je veux dire philosophique et normative, qui est la nôtre 50 ans après Parent et après le détournement des États généraux du milieu des années 90. Pour cela, il lui reviendrait d’abord de préciser ce que collectivement nous entendons être l’éducation et les fins qu’elle doit servir. Son mandat serait ensuite de dresser un état des lieux à la lumière de ces finalités. Il lui reviendrait enfin de préciser les moyens à mettre en oeuvre pour atteindre ces dernières. On donnerait à cette commission le temps et les ressources lui permettant de faire correctement son travail, lequel mettrait fin à de trop nombreuses années de rapiéçage et d’improvisation.
Que faut-il changer dans l’actuel système d’éducation ?
Je pense que c’est tout ce qui fait obstacle à l’atteinte simultanée de ces deux objectifs que la massification de l’éducation nous demande de concilier, à savoir l’excellence et l’égalité des chances. Le récent rapport du Conseil supérieur de l’éducation est une intéressante amorce de ce travail. Mais sa véritable complétion suppose qu’on sache quelles politiques adopter face à des choses aussi importantes que le financement de l’école privée, les programmes internationaux, l’aide aux élèves en difficulté et de très nombreuses autres qui, toutes, supposent que l’on ait collectivement répondu aux questions qui seraient traitées par Parent 2.0.
Que faut-il conserver dans l’actuel système d’éducation ?
Beaucoup de choses et, en répondant à votre question, je ne peux m’empêcher de rappeler le sérieux et la qualité du travail accompli par la commission Parent. Le fait que notre système d’éducation se soit voulu public, une réalité qui est aujourd’hui menacée, est sans aucun doute à préserver et à enrichir. De même, partout où il subsiste, cet idéal d’éducation entendu comme mise en contact avec des savoirs fondamentaux dans le but de rendre une personne autonome et de la préparer à l’exercice d’une véritable citoyenneté par laquelle chacun est un gouvernant en puissance, cela aussi me semble un autre acquis crucial et à préserver. Mais il est lui aussi menacé, à preuve ces attaques contre la formation générale au cégep et, plus généralement, une certaine tendance à l’instrumentalisation de l’éducation. Sur le plan des institutions léguées par Parent, les cégeps et les universités du Québec me semblent, eux aussi, des acquis infiniment précieux. Il y en a d’autres…
Les maux du système d’éducation sont-ils liés à un manque de ressources ?
Cela arrive sans aucun doute. Mais il arrive aussi, et cette fois encore, sans aucun doute, que nos problèmes tiennent à une mauvaise allocation des ressources et à des dépenses difficilement justifiables. Pour en décider, il nous manque cette vision de l’éducation que je réclame, que sert une gouvernance fondée, partout où cela est possible, sur des données probantes. Je pense en outre que notre système est en grande partie dominé par quelques lieux de pouvoir que chacun identifiera sans mal et qui ont en quelque sorte « capturé la réglementation » à laquelle ils sont soumis, échappant dès lors à une pleine reddition de comptes envers le public. Et c’est ainsi, pour ne prendre que ce terrible exemple, que la forte demande de rehaussement du curriculum exprimée lors des États généraux a pu être détournée en une réforme pédagogique ne reposant pas sur des données probantes — avec les résultats que l’on sait.
Faut-il repenser la formation des maîtres ?
Oui, et sur de nombreux plans. Mais je veux d’abord rappeler qu’enseigner n’est pas seulement un métier ou une profession : c’est une vocation la plus noble qui soit, ceci en raison de la forte portée normative de cette activité. Nous devons aux personnes qui l’exerceront une formation de la plus haute qualité qui soit, avant de leur devoir une reconnaissance collective à la hauteur de leur tâche, laquelle s’exprimera aussi par des conditions de travail enviables. La formation des maîtres est actuellement trop souvent carencée, certains cours, hélas, sont même bien peu du niveau souhaitable pour un enseignement universitaire. Trop de légendes pédagogiques sont enseignées, les données probantes sont trop souvent méconnues et nos maîtres se trouvent ainsi devant des défis immenses pour lesquels leur préparation est inadéquate. J’ajouterais encore que la soumission de l’université à des impératifs de rentabilité fait en sorte que nous formons, dans certaines disciplines, trop de maîtres, qui vivent ensuite trop longtemps de la précarité — cela les conduit même parfois à abandonner le métier, au point que l’on parle désormais de décrochage enseignant et de désertion professionnelle. Cela ne doit pas être. Des maîtres soigneusement sélectionnés à l’entrée, des maîtres formés en pédagogie, en philosophie, en didactique selon les plus hautes exigences, des maîtres, pour le secondaire, ayant en outre reçu une solide formation disciplinaire, tous et toutes recevant à la fin de leur formation la garantie d’un poste enviable et socialement admiré : voilà une des conditions du succès d’un système scolaire. Mais ce souhait, comme les autres que j’exprime ici et à commencer par celui d’une commission Parent 2.0, rien de tout cela ne sera possible sans une forte demande du public. Je l’appelle donc de mes voeux. Et vous ?
