Les examens «responsables d’une bonne partie du décrochage scolaire» (4/8)

Mme Sarrazin considère qu’il faut donner une plus grande autonomie aux écoles, qui se retrouvent dans un système trop rigide.
Photo: Annik MH de Carufel Le Devoir Mme Sarrazin considère qu’il faut donner une plus grande autonomie aux écoles, qui se retrouvent dans un système trop rigide.

Pourquoi le système scolaire québécois produit-il autant de décrocheurs ? Faut-il mieux former les enseignants ? Après avoir sillonné les régions tout l’automne, une nouvelle consultation publique pour « moderniser le système d’éducation » se termine à Québec le 1er décembre. De quelle école la société québécoise a-t-elle besoin ? Les réponses de huit observateurs et artisans dans cette série qui se poursuit avec Michelle Sarrazin, directrice des services pédagogiques au Collège Jean-Eudes. Propos recueillis par Lisa-Marie Gervais.

Si vous étiez ministre, quelle serait la priorité de votre mandat ?

J’insufflerais une vision, une fierté à l’école québécoise. Car nous avons, somme toute, un très bon système d’éducation. Il faut le dire et permettre au Québec de relever la tête. Il faut que l’école québécoise retrouve confiance en elle et sa dignité. Car on ne peut rien enseigner à quelqu’un qui n’a pas confiance en nous. Et la morosité nous tue ! Il nous faut réaffirmer sa foi envers le « nouveau programme de formation », qui a maintenant plus de 15 ans. Nous l’avons conspué, vilipendé, honni, mais il a fait évoluer nos pratiques. Et pour le mieux ! Grâce à lui, nous avons commencé (je n’écris même pas « recommencé ») à parler de pédagogie dans les écoles : nous nous sommes questionnés sur nos pratiques, nous avons remis l’élève au coeur de nos enseignements, nous avons appris à construire nos cours de façon plus stratégique, pertinente et efficace. Bref, nous nous sommes professionnalisés. Mais ce programme a été mal vendu, mal compris, mal enseigné : il ne s’est jamais véritablement implanté.

Que faut-il changer dans l’actuel système d’éducation ?

Donner plus d’autonomie aux écoles afin que chacune puisse choisir les membres de son équipe, établir ses priorités en fonction de ses réalités et avoir une emprise sur son projet éducatif. C’est le système entier qui est trop rigide. Il faut repenser les épreuves ministérielles qui sont désuètes, stériles, absolument pas conformes à l’esprit du nouveau programme. Et que dire de l’incohérence qui consiste à faire passer de telles épreuves à l’heure des réseaux numériques ? Les élèves passent une bonne partie de leur année scolaire à se préparer à de tels examens, qui ne sont pourtant pas très difficiles en soi et qui n’exigent pas d’esprit de synthèse ni d’esprit critique. S’y préparer devient une obsession pour les enseignants et pour les élèves : une obsession malsaine, qui éloigne des véritables apprentissages… Les évaluations s’avèrent si peu pertinentes qu’elles pourraient bien être, à elles seules, responsables d’une bonne partie du décrochage scolaire.

Outre les examens, que faut-il conserver dans l’actuel système d’éducation ?

Le nouveau programme de formation et les compétences transversales doivent être réhabilités. La vie n’est pas un champ de silos ! Développer des méthodes de travail efficaces, exercer son jugement critique, coopérer, communiquer de façon appropriée, mettre en oeuvre sa pensée créatrice, résoudre des problèmes et exploiter les technologies de l’information et de la communication : voilà nos véritables compétences transversales ! Les reconnaissez-vous ? Bien sûr, elles ne se déploient pas à vide, mais plutôt à travers des contenus, des savoirs, des oeuvres. Certes, nous y tenons aussi, aux « savoirs essentiels »… Mais pour se les approprier et les digérer, quoi de mieux que d’y plonger les mains et d’articuler le tout grâce à ces fameuses compétences… dont il ne faut surtout pas prononcer le nom !

Les maux du système d’éducation sont-ils liés à un manque de ressources ?

On peut toujours faire plus avec plus ! Sans l’ombre d’un doute, il faudra, par exemple, donner les moyens aux écoles de faire le virage numérique, qui ouvre l’esprit des jeunes à toutes les possibilités, qui les met en action et qui leur donne prise sur le monde, sur leur monde.

Surtout, il faut accompagner les directions d’école et les enseignants pour qu’ils s’engagent, résolument, dans leur formation continue, qu’ils soient toujours à la fine pointe de la recherche en éducation, des nouvelles approches pédagogiques, des nouveaux outils à leur disposition.

Faut-il repenser la formation des maîtres ?

Les jeunes enseignants que l’on accueille en stage sont, somme toute, très bien formés. Beaucoup mieux que nous ne l’étions à mon époque ! Ils arrivent avec une belle réflexivité, des outils intellectuels, une connaissance assez fine de leur programme disciplinaire. Mais plusieurs reproduisent l’école qu’ils ont connue et manquent de créativité pour mettre les élèves en action afin qu’ils s’investissent vraiment, notamment avec le numérique.

Ce qu’il faut, surtout, c’est se donner les moyens d’attirer les meilleurs candidats aux postes d’enseignement : des jeunes gens cultivés, curieux, articulés… Et faire la sélection à la base, comme pour les médecins ! Après tout, les enseignants contribuent à former les esprits ! Et devant tous les défis éthiques, philosophiques, politiques, scientifiques et autres qui attendent l’humanité, nous aurons besoin des meilleurs ! Il faut redonner à l’éducation la place qui lui revient.

Enseignante de français au secondaire pendant plusieurs années, Michelle Sarrazin est directrice des services pédagogiques au Collège Jean-Eudes. Elle occupe également les fonctions de présidente du comité de l’enseignement des directions des services pédagogiques de la Fédération des établissements d’enseignement privés du Québec.

 


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