L’école à l’examen: «Les réformes, je n’en peux plus» (2/8)

Pourquoi le système scolaire québécois produit-il autant de décrocheurs ? Faut-il mieux former les enseignants ? Après avoir sillonné les régions tout l’automne, une nouvelle consultation publique pour « moderniser le système d’éducation » se termine à Québec le 1er décembre. De quelle école la société québécoise a-t-elle besoin ? Les réponses de huit observateurs et artisans dans cette série qui se poursuit avec Françoise Marton Marceau, ex-directrice d’école. Propos recueillis par Stéphane Baillargeon.
Si vous étiez ministre, quelle serait la priorité de votre mandat ?
Les réformes, je n’en peux plus. Le milieu a été bousculé par un tas de réformes faites sans réflexions avec des mesures qui ne tiennent pas compte des réalités d’une région à l’autre, d’un quartier à l’autre. On ne réfléchit pas beaucoup dans le monde de l’éducation. Je proposerais plutôt de lancer un vaste chantier, mais pas comme la nouvelle consultation en ce moment. Mon chantier se déroulerait dans les écoles pendant les journées pédagogiques autour de ces questions : que transmettre à l’école et quels sont les besoins des enfants ? Il faudrait donc réfléchir aux objectifs de l’école de maintenant. Je m’inspirerais de cette idée du philosophe Michel Serres voulant qu’avant d’enseigner quoi que ce soit à qui que ce soit, au moins faut-il le connaître. Demandons-nous donc qui se présente aujourd’hui à l’école, au collège, à l’université.
Que faut-il changer dans le système actuel d’éducation ?
Je favoriserais une vraie autonomie des écoles, y compris pour l’embauche des enseignants par la direction et les conseils d’établissement. Il faut hausser les salaires des enseignants. Ils sont sous-payés. Et si on donne de l’autonomie aux écoles, elles devraient être mieux gérables. Les conventions collectives doivent être repensées. Elles sont ingérables avec leurs horaires à la minute près. Le calendrier scolaire, pensé pour un monde agricole, pose un autre problème en rapport au temps, avec ses deux mois de congé l’été et ses journées pédagogiques égrenés. Ces vacances servent les profs et les familles les plus nanties, mais créent un enfer pour les parents qui devraient être consultés sur cet aspect. Il faut les revoir à la lumière des besoins des écoles et de la réalité de la vie d’aujourd’hui. En plus, j’abolirais tous les examens d’entrée à toutes les écoles, publiques ou privées. Je réserverais les examens d’évaluation pour les fins de parcours du primaire et du secondaire. L’examen, ce n’est pas un moment d’apprentissage, c’est un moment où on rend des comptes. Et puis, j’accorderais une attention à l’architecture des écoles et à l’aménagement des classes. Il est important que les enfants soient plus en contact avec la nature et qu’ils évoluent dans des classes mieux adaptées aux nouvelles pratiques pédagogiques.
Que faut-il conserver dans le système actuel ?
Il faut garder le conseil d’établissement, mais j’impliquerais davantage les parents dans beaucoup de décisions d’une école plus autonome. Ils n’ont pas à mettre le nez dans les classes où travaillent des professionnels, bien évidemment. Il me paraît également sensé de conserver les services de garde liés aux établissements. Pour le reste, je dois dire qu’il y a des gens extraordinaires dans les milieux éducatifs. Il y a des enseignants merveilleux et compétents. Mais il y a aussi des enseignants incompétents et très pénibles.
Parlons-en. Faut-il repenser la formation des maîtres ?
Il est important de la repenser au complet. Cette formation doit adopter une discrimination positive envers les hommes. Ça devient urgent. On pousse pour que les papas soient plus présents auprès de leurs enfants, et c’est formidable. Ils sont là jusqu’à la garderie et après, les hommes disparaissent de l’entourage des enfants quand ils entrent à l’école. Il y a donc un travail à faire du côté des universités pour recruter des étudiants masculins dans les facultés d’éducation. Ce besoin d’équilibrer la profession ne concerne d’ailleurs pas que les garçons. Les filles aussi doivent avoir des modèles masculins dans les écoles. Il faut en plus resserrer les exigences d’entrée dans les facultés. Autant je suis contre les examens pour accéder aux écoles ou dans les classes, autant je les trouve nécessaires pour entrer à l’université. Je pense surtout qu’il devient essentiel de développer une sélection autour des habiletés à avoir comme enseignant. Il faut par exemple examiner la capacité créatrice, mais aussi les habiletés à communiquer, à travailler en équipe, à être empathique. On devrait surveiller tous ces points. Tout le monde n’est pas doué pour ce métier. Et je dis bien : doué. Je souhaite tout autant que le système repense l’orientation des stages. Ils sont saupoudrés à la petite semaine. Je favorise une année complète auprès d’un mentor. Je crois beaucoup au mentorat dans mon métier. Je mentionne un dernier point de la formation qui concerne la culture et l’ouverture à la culture. Combien d’enseignants ou de futurs enseignants ne connaissent rien à la littérature enfantine ?
Les maux du système ne sont donc pas uniquement liés à un manque de ressources ?
Non. Évidemment, il faut des moyens pour certains besoins particuliers comme l’autisme. Je l’ai dit : je souhaiterais également plus d’argent pour mieux payer les professeurs. Mais d’après moi, on ne peut réduire les problèmes du système au seul manque de ressources. Il y a aussi le manque de temps pour réfléchir collectivement sur l’école. Il faut donner du temps aux enseignants, aux professionnels, aux directions pour réfléchir ensemble à ce qu’ils font ensemble. Une école n’est valable que si elle demeure cohérente dans son système.