«Sans le syndicalisme, ce serait le Far West»

Ce texte fait partie du cahier spécial Syndicalisme
C’est un fait, les travailleurs en général et les enseignants en particulier ont de plus en plus de droits, à tel point que de nombreuses voix s’élèvent pour fustiger les syndicats, coupables d’en vouloir toujours plus. Une critique que la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) considère plutôt comme un compliment. Car sans les syndicats, affirme-t-elle, non seulement les gouvernements ne se gêneraient pas pour revenir sur certains acquis obtenus de chaude lutte, mais personne n’aurait les moyens de le contester.
Des chiens de garde. La Fédération autonome de l’enseignement voit le mouvement syndical comme un chien de garde. Un chien qui monte la garde devant les acquis des travailleurs. Mais qui sait également regarder vers l’avant et proposer des solutions avant que la société fracasse un mur.
« Le syndicalisme que nous pratiquons vise à protéger les acquis et à améliorer les conditions de travail et d’apprentissage, indique le président de la FAE, Sylvain Mallette. À lutter contre l’arbitraire, à faire respecter l’application du contrat de travail, notamment dans ce qui a trait à la priorité dans l’octroi des postes. Mais nos débats dépassent l’école. Nous sommes sur le front de la lutte contre la pauvreté et sur l’égalité homme-femme. Parce que ce sont des dossiers qui touchent forcément les enseignants et ont des répercussions sur les élèves. »
M. Mallette qualifie notamment d’odieuse l’adoption par l’Assemblée nationale la semaine dernière de la loi 70, qui permet de couper une partie de l’aide sociale à des demandeurs aptes à travailler qui n’en feraient supposément pas assez pour retourner sur le marché du travail.
« Quand on connaît les conséquences de la pauvreté sur un parcours scolaire et que l’on sait ce que coûte un décrocheur à la société, c’est inconcevable, juge-t-il. Les syndicats sont aussi là pour dénoncer les gestes que posent les patrons et les gouvernements et qui nous apparaissent être des reculs pour la société. Car si nous ne le faisons pas, qui va le faire ? Sans le syndicalisme, ce serait le Far West. »
Sur le plan de la pauvreté, le président rappelle que c’est la FAE qui a mis en place des projets pilotes de maternelle 4 ans à temps plein en milieu défavorisé afin de permettre une prise en charge précoce de nature à contrer le décrochage d’enfants qui ne sont pas assez stimulés chez eux. Un programme que le gouvernement a fini par reprendre à son compte, puisque de plus en plus de classes de ce type sont ouvertes.
Mais bien d’autres combats restent à mener, comme celui de la mission de l’école publique. La FAE a vu le jour il y aura bientôt dix ans, parce qu’elle était notamment en désaccord avec les syndicats historiques sur la réforme de l’éducation.
« Aujourd’hui, l’école est au service du marché du travail, s’insurge Sylvain Mallette. Résultat : on dirige de plus en plus les élèves en difficulté vers des métiers semi-spécialisés, alors qu’ils auraient dû avoir accès à des services, à des ressources qui leur permettent de surmonter leurs difficultés d’apprentissage. On devrait faire en sorte qu’il y ait le plus possible de jeunes qui vont chercher un diplôme d’études professionnelles [DEP] ou un diplôme d’études secondaires. Au lieu de ça, ils arrivent dans des métiers du type aide-cuisinier, aide-garagiste, aide-commis d’épicerie, aide-boucher. Ce sont des qualifications “commission scolaire”qui autrefois étaient réservées aux personnes vivant avec des déficiences intellectuelles afin qu’elles puissent avoir un métier et devenir citoyennes à part entière. Ce sont des voies de garage, sans avancement, à faible rémunération. C’est vraiment ça, le modèle de société que nous voulons ? »
D’où la lutte menée par la FAE contre la réforme, qui, en mettant l’accent sur les compétences plutôt que sur les connaissances, coule dans le marbre le fait que l’école doit être utilitaire.
« Rappelons que les gouvernements successifs ont coupé 1,3 milliard de dollars dans les budgets de l’éducation ces dernières années, souligne Luc Ferland, vice-président des relations de travail à la FAE. Et que l’on continue de financer généreusement l’école privée. On a coupé dans les services, on a coupé dans les ressources, ce sont les élèves des milieux défavorisés et ceux qui ont des difficultés d’apprentissage qui en pâtissent. Et heureusement que nous, syndicats, étions là l’an dernier pour nous mobiliser lors de la dernière négociation, car ça aurait pu être bien pire. »
Grâce à la mobilisation syndicale, le gouvernement n’a en effet pas pu mettre fin au système de « pondération a priori » dans la formation des groupes. Ce système, qui permet qu’un enfant puisse compter pour deux lorsqu’il présente des difficultés particulières, fait en sorte d’alléger les classes, et donc d’améliorer les conditions de travail des professeurs et les conditions d’apprentissage des élèves.
« N’oublions pas que lorsque les professeurs enseignent dans de bonnes conditions, ce sont les élèves qui y gagnent, et donc toute la société, ajoute M. Ferland. Il y a un lien direct entre les conditions d’exercice et les conditions de réussite des élèves. »
Une voix que la FAE souhaite faire entendre lors des consultations publiques sur la réussite éducative lancées cet automne par le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur.
« Nous ne pratiquons pas seulement un syndicalisme de contestation, assure Sylvain Mallette. Nous avançons des pistes de solution qui viennent des professeurs, qui sont sur le terrain, qui travaillent avec les enfants tous les jours et qui comprennent leurs besoins. Eux savent ce qu’il faut pour faire réussir les élèves, et ce n’est certainement pas une approche marchande de l’école. Nous allons déposer un mémoire en ce sens. »
Sans l’appui de leur syndicat, les professeurs ne pourraient d’ailleurs pas participer pleinement à ces consultations.
« Voilà encore bien un des intérêts du syndicalisme, renchérit le vice-président Luc Ferland. Les cotisations de nos membres nous permettent de remplacer la perte de salaire qu’un professeur subit s’il veut participer aux consultations, puisque le gouvernement s’est arrangé pour qu’elles aient lieu au moment où les enseignants sont en cours, devant leurs élèves. Qui perdrait une journée de salaire pour aller exprimer son point de vue dans une consultation si importante soit-elle ?demande-t-il. Personne ! Sans les syndicats, la voix des professeurs ne serait pas entendue, et le gouvernement pourrait mener la réforme dans son coin. Ça en dit long sur la vision libérale de l’école ! »
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