L’UPAC s’intéresse à un contrat de location

L’UPAC s’intéresse à la Commission scolaire de la Seigneurie des Mille-Îles, dans la couronne nord de Montréal, qui a renouvelé un contrat de location de bail de plusieurs millions de dollars dans un édifice appartenant à Marc Bibeau, grand argentier de l’ancien gouvernement Charest, après une intervention avouée de Lino Zambito. Et ce, alors que les études de faisabilité préconisaient d’autres options financièrement plus avantageuses.
« Un matin de juin 2009, je reçois un appel de [Marc Bibeau], qui veut me rencontrer, écrit le témoin-vedette de la commission Charbonneau, Lino Zambito, dans son livre, Le Témoin, qu’il vient de publier. Il m’informe d’entrée de jeu qu’il a un service à me demander. Il m’explique que les dirigeants de la commission scolaire — qu’il souhaite voir renouveler leur bail pour 10 ans — hésitent à le faire et songent à acquérir leur propre édifice […]. Il aimerait que je fasse jouer mes contacts […] pour tenter de convaincre les commissaires de revenir à de meilleurs sentiments. »
Marc Bibeau — présenté à maintes reprises comme le grand argentier du Parti libéral, pendant les travaux de la commission Charbonneau, mais jamais blâmé — lui aurait fait un « retour d’ascenseur » quelques semaines plus tard.
«Fiction»
Par la voie de ses avocats, Marc Bibeau répond que « les allégations de M. Zambito sont dénuées de tout fondement, puisque les événements décrits n’ont jamais eu lieu ».
« La négociation entre la Commission scolaire de la Seigneurie-des-Milles-Îles et Beauward, pour le renouvellement du bail, s’est réalisée dans le cadre normal d’une relation d’affaires entre un locateur et un de ses locataires et s’est soldée par de nombreuses concessions de la part de Beauward, dont une réduction de 11 % du loyer. Quant à l’histoire du pseudo-“ retour d’ascenseur ”, nous sommes informés qu’il ne s’agit également que de pure fiction. »
UPAC
Lino Zambito, qui a plaidé coupable à des accusations de fraude et de complot et qui purge une peine de sursis de deux ans moins un jour, affirme avoir donné ces informations aux enquêteurs de la commission Charbonneau en préparation de son témoignage, en 2011. Mais le sujet n’a jamais été abordé pendant son témoignage.
En janvier dernier, c’est l’Unité permanente anticorruption (UPAC) qui l’a interrogé à ce sujet.
L’UPAC refuse de confirmer ou d’infirmer s’il y a une enquête en cours, mais le secrétaire général de la Commission scolaire de la Seigneurie des Mille-Îles, Jonathan Desjardins-Malette, affirme que la commission scolaire a été contactée à la fois par les enquêteurs de la commission Charbonneau, autour de 2014, et par ceux de l’UPAC, de manière « plus récente, peut-être 2015 ».
« Ce sont des choses qui ont été faites dans le cadre de mandats qui ont été donnés, alors nous avons collaboré avec des enquêteurs. »
Plusieurs options
Au moment des événements, au printemps 2009, la Commission scolaire de la Seigneurie des Mille-Îles occupait deux des six étages d’un immeuble de Saint-Eustache appartenant à Marc Bibeau. Les entreprises de celui-ci, Shockbéton et Immeubles Beauward, qui logent dans le même édifice, ont fait l’objet de deux perquisitions, dont la dernière a eu lieu cet été.
La direction de la commission scolaire envisageait alors de déménager, car son bail, d’une valeur annuelle de 1,067 million de dollars, arrivait à échéance.
Une étude de faisabilité a été réalisée. Dans ce document, dont Le Devoir a obtenu copie, la commission scolaire explorait divers scénarios, dont le déménagement du centre administratif dans de veilles écoles inutilisées, la construction d’un nouveau centre administratif, de même qu’une location-achat (emphythéose) en partenariat avec une municipalité. À long terme, le renouvellement du loyer se révélait être l’option la moins avantageuse sur le plan financier.
Changement de cap
En mai 2009, le déménagement était à l’ordre du jour du conseil des commissaires. « Il n’était pas question de renouveler le bail, ça, c’était clair », raconte l’ex-commissaire Claude Girard en entrevue au Devoir.
« C’était pratiquement chose faite, on nous disait qu’on allait déménager, affirme une source à l’interne. Mais, moi, je savais à qui on faisait affaire, j’étais convaincu qu’on ne déménagerait jamais. »
Le mois suivant, à la séance du conseil des commissaires tenue le 23 juin 2009, la direction a présenté une proposition pour reconduire le bail dans les locaux de Marc Bibeau pour 10 ans. « Un jour, le directeur des finances [de la commission scolaire] nous dit que ça coûte moins cher de déménager dans une vielle école et, deux semaines plus tard, on nous dit qu’il y a eu une entente avec le propriétaire et que c’est plus avantageux de rester ici, raconte l’ex-commissaire Denis-Claude Blais. Ils nous ont présenté ça à la dernière minute, il aurait fallu avoir plus de temps pour analyser tout ça. Ça m’achale encore… »
L’ex-commissaire Claude Girard s’est abstenu de voter, car il avait, lui aussi, des réserves. « À huis clos, ils nous ont dit que le propriétaire avait fait une offre qu’on ne pouvait pas refuser. Ils nous ont distribué des documents qu’ils ont repris presque aussitôt et ils parlaient en même temps. C’était un spectacle orchestré, une manipulation honteuse pour nous faire accepter un bail qu’on n’avait jamais vu. Je suis sorti de là en maudit. »
Dans les minutes qui ont suivi, passé 23 heures, Lino Zambito dit avoir reçu un appel : le dossier était réglé. Il affirme avoir transmis la nouvelle à Marc Bibeau dès le lendemain matin.
Commission scolaire
À la commission scolaire, l’actuel directeur du service des finances, Daniel Trempe, qui a participé aux négociations avec le propriétaire, réfute qu’il y ait eu des pressions politiques exercées sur la direction pour maintenir le centre administratif dans l’immeuble de Marc Bibeau. « Quand on négocie, on comprend que ce sont des pressions normales de négociations avec différents interlocuteurs ou avec différents scénarios, mais c’est une pression tout à fait normale. Est-ce qu’il y a eu des pressions indues ou quoi que ce soit ? Pas à ma connaissance. Moi, je n’ai pas senti ça […]. S’il y a eu des téléphones à Pierre, Jean, Jacques, moi, je ne suis pas au courant de ça. »
Pourquoi alors avoir choisi l’option la moins avantageuse ? Le directeur des finances soutient que, pour les cinq premières années, le statu quo était plus avantageux. Mais, surtout, c’est que le propriétaire est revenu avec une contre-offre comportant une « baisse importante des frais de location ».
Aujourd’hui, la commission scolaire dit payer 1,069 million, sensiblement le prix qu’elle payait il y a six ans, un montant qui augmente chaque année en fonction de l’indice des prix à la consommation.
« La commission scolaire demeure convaincue que le renouvellement du bail, tel que modifié, est une excellente décision financière », conclut le secrétaire général.