La réaction des têtes dirigeantes est primordiale, selon une chercheuse

Le recteur de l’Université Laval, Denis Brière, a mis trois jours à s’exprimer sur les agressions survenues dans les résidences. Lorsqu’il a fini par le faire, sa maladresse lui a valu encore davantage de critiques, au point où il s’est fait huer lors de sa participation à la vigile organisée pour les victimes.
Photo: Francis Vachon Le Devoir Le recteur de l’Université Laval, Denis Brière, a mis trois jours à s’exprimer sur les agressions survenues dans les résidences. Lorsqu’il a fini par le faire, sa maladresse lui a valu encore davantage de critiques, au point où il s’est fait huer lors de sa participation à la vigile organisée pour les victimes.

L’absence de réaction ou une mauvaise réaction des dirigeants d’université aux cas d’agressions sexuelles peut indirectement contribuer à ce qu’on appelle la culture du viol, selon la professeure Shaheen Shariff, de l’Université McGill.

C’est l’une des hypothèses de la recherche pour laquelle elle vient de recevoir une subvention de 2,5 millions de dollars du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH).

« Nous voulons voir si les lois et les directions d’université soutiennent la culture du viol sans même s’en rendre compte. En ne faisant rien ou encore en en faisant très peu, a-t-elle expliqué au Devoir. Ça pourrait être le cas, par exemple, s’ils pensent davantage à la réputation de l’institution qu’à l’aide apportée aux survivantes. »

« Quand ces événements surviennent, les gens veulent avoir confiance envers l’institution, et c’est au leader de l’université de s’avancer, ajoute-t-elle. Les gens veulent que cela vienne de la personne la plus en [position d’]autorité. Ils veulent entendre que c’est inacceptable et qu’on va sévir. Et cette réaction doit être immédiate, le jour même. »

Cette semaine, deux recteurs ont été critiqués à ce propos. On a beaucoup entendu parler notamment du recteur de l’Université Laval, Denis Brière, qui a mis trois jours à s’exprimer sur les agressions survenues dans les résidences universitaires.

Lorsqu’il a fini par le faire, sa maladresse lui a valu encore davantage de critiques, au point où il s’est fait huer lors de sa participation à la vigile organisée pour les victimes.

À l’Université d’Ottawa, le recteur Jacques Frémont s’est, lui, fait reprocher d’avoir mis trois jours à réagir, cette fois à une activité étudiante controversée. Rendue publique dans un journal étudiant, l’agression était survenue lors d’une fête étudiante baptisée le « Tour des anciens », au cours de laquelle des étudiantes étaient encouragées à se prêter à des jeux sexuels en échange de points. La jeune journaliste qui avait rapporté l’histoire, Yasmine Mehdi, avait par la suite reçu des messages haineux. « J’espère que votre imam va vous violer », lui a-t-on écrit.

Les dirigeants d’université sont dépassés, selon le Dr Shariff. « Les universités sont souvent “en mode réaction”. Ils vont annoncer la mise sur pied d’une politique ou l’embauche de ressources pour limiter lescas de harcèlement et les agressions sur les campus. Mais, au final, on constate que ça ne change pas grand-chose si ce n’est pas accompagné d’une très bonne compréhension de la complexité de ces questions. »

Son projet de recherche, qui doit durer sept ans et auquel participent une douzaine d’universités, vise d’ailleurs à proposer aux recteurs et rectrices une marche à suivre claire en ces occasions. Mais laquelle ?

Quand ces événements surviennent, les gens veulent avoir confiance envers l’institution, et c’est au leader de l’université de s’avancer. Et cette réaction doit être immédiate, le jour même.

 

Définir le consentement et la culture du viol

Doit-on suivre l’exemple des États-Unis qui ont imposé un modèle national de gestion de crise ? Pas certain, répond la professeure. Très controversé, ce modèle a été qualifié par certains de « bureaucratie du sexe ». « Certains spécialistes font valoir qu’à trop réguler la culture du viol, on risque de finir par contrôler le sexe lui-même », explique-t-elle.

Sur certains campus aux États-Unis, on enseigne une vision trop restrictive du consentement. On estime, par exemple, que les partenaires doivent sourire avant l’acte, manifester de l’enthousiasme ou encore ne pas avoir bu d’alcool.

« Le consentement est une chose très difficile à contrôler. Pour moi, la culture du viol setrouve davantage dans le langage dégradant qu’on utilise envers les femmes, dans les mauvaises blagues qu’on fait sur elles, dans les reproches qu’on fait aux personnes agressées au lieu de blâmer les agresseurs. »

Les messages haineux reçus par Yasmine Mehdi et les commentaires entendus à l’Université Laval selon lesquels les étudiantes qui ont été agressées auraient dû barrer leurs portes sont de très bonnes illustrations de cela, précise-t-elle.

Comment, par ailleurs, expliquer l’apparente croissance de cette culture ? Est-ce parce qu’elle est plus médiatisée ou parce qu’elle gagne en force ?

« Les deux, répond-elle. Les femmes ont toujours été objectivées et considérées comme des objets sexuels depuis toujours, mais je crois que les médias sociaux rendent cela plus apparent. Tout cela est maintenant visible, parce que c’est plus facile de dire ces choses derrière un écran. […] Les plus gros consommateurs de médias sociaux et de culture populaire sont la génération Y, les étudiants universitaires. Et une bonne part de la culture populaire est très sexiste et misogyne, et les normes ont changé. […] Ils voient tellement de choses en ligne. Ça les a rendus plus tolérants que les autres à ces manifestations de sexisme et même d’homophobie. »

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