Haro sur la violence sexuelle sur les campus

Trois jeunes femmes victimes d’agressions sexuelles dans des établissements scolaires ont dénoncé dimanche le laxisme du gouvernement en matière de violences sexuelles sur les campus québécois. La même journée, le Service de police de la Ville de Québec (SPVQ) a annoncé avoir ouvert une enquête sur une série d’agressions qui auraient eu lieu dans la nuit de vendredi à samedi, à l’Université Laval.
La réalité est venue rattraper la sortie médiatique de Mélanie Lemay, Ariane Litalien et Kimberley Marin : tandis que les jeunes femmes dévoilaient une série de recommandations adressées à la ministre de l’Enseignement supérieur, Hélène David, les autorités levaient le voile sur « près d’une dizaine » de plaintes liées à l’introduction de suspects dans les chambres des résidences universitaires de l’Université Laval.
« Le ou les suspects — encore là, on n’a pas de description précise ou de nombre exact — entraient dans les chambres sans défoncer [la porte] pour des agressions sexuelles, pour surprendre les gens ou pour commettre une infraction criminelle », a résumé l’agent aux communications du SPVQ Pierre Poirier.
D’autres victimes
La dizaine de plaintes qu’a reçues le service de police concerne des intrusions sans effraction dans les pavillons Ernest-Lemieux et Alphonse-Marie Parent. Mais leur nombre pourrait changer, car de nouvelles victimes pourraient se manifester, a précisé l’agent Poirier. « Les intrusions se faisaient majoritairement dans des chambres et il n’y avait pas de recours à la force pour défoncer [les portes] », a-t-il aussi déclaré.
À l’université, le porte-parole Samuel Auger a rappelé que l’établissement avait contacté les utilisateurs des résidences « pour leur rappeler les consignes de sécurité », notamment celles à propos de l’importance de verrouiller les portes des chambres.
Pour des normes provinciales
Quand Le Devoir l’a mise au courant des événements qui auraient eu lieu à Québec, Kimberley Marin a dit souhaiter que les établissements « fassent de la sensibilisation et s’impliquent » dans la lutte contre les violences sexuelles. « Dans un monde parfait, les jeunes arriveraient à l’université et ils seraient allumés, respectueux des droits des femmes », a-t-elle réagi.
Cette étudiante à l’École de technologie supérieure (ETS) de Montréal a entrepris une croisade contre la violence sexuelle après les initiations de l’automne 2015, quand cinq garçons l’ont maintenue de force pour déchirer son t-shirt et la jupe hawaïenne qu’elle portait comme déguisement.
Avec Mélanie Lemay, Ariane Litalien et Linda Vaillancourt, victime d’inceste dans l’enfance, elle a créé le groupe Québec contre les violences sexuelles. Comme elle, ses consœurs ont été écorchées par la réaction des autorités vers lesquelles elles se sont tournées pour dénoncer ces actes. Avec elle, elles participeront vendredi à une conférence de presse servant à exiger, entre autres choses, la création de normes provinciales concernant la réponse des institutions postsecondaires aux plaintes de violence sexuelle.
« Nous voulons que le gouvernement agisse, a déclaré Kimberley Marin. Nous voulons responsabiliser les institutions d’enseignement sur les violences sexuelles et créer une norme globale pour tout le monde. Créer des normes provinciales. »
Pour atteindre les normes qu’elles réclament, les quatre femmes suggèrent notamment l’imposition de mesures de prévention de la violence sexuelle dans les établissements, la mise en place de mesures favorisant la dénonciation de la violence sexuelle à l’intérieur et à l’extérieur des murs, la formation annuelle des élus de l’Assemblée nationale et des membres des conseils d’administration des établissements postsecondaires québécoises et la mise en place d’une campagne de sensibilisation du grand public.
Des balises strictes… à venir
Au cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur, l’attaché de presse Thierry Bélair a rappelé qu’Hélène David était décidée à « changer les mentalités ». Après des rencontres avec les associations étudiantes et les recteurs, la semaine dernière, la ministre s’apprête à discuter avec la Fédération des cégeps. La ministre, qui a rejeté l’idée de créer une loi pour lutter contre la violence sexuelle, a jusqu’ici dévoilé son intention d’imposer des balises nationales strictes aux activités d’initiation.
« Commencer par les initiations, c’est beau. Mais c’est sûr que, pendant le reste de l’année, pendant les partys, les activités parascolaires, ça se passe aussi », a réagi Kimberley Marin.
Au Regroupement québécois des Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS), la coordonnatrice Nathalie Duhamel se réjouit de voir des jeunes femmes prendre les devants, dans un contexte où l’action gouvernementale tarde à venir. « Ça fait trois ans qu’on attend la stratégie gouvernementale en violence sexuelle », a-t-elle rappelé. Entre-temps, sous l’impulsion de mouvements comme #AgressionNonDénoncée, en 2014, les femmes se font entendre sur le terrain et sur les médias sociaux. Dans les CALACS, les files d’attente pour les services s’allongent depuis deux ans. « Il y a sûrement un effet d’entraînement, de voir ces jeunes-là qui n’acceptent pas ces situations et qui les dénoncent », a observé Mme Duhamel.
Et la police?

Les courriels qu’a échangés Kimberley Marin avec la sergente détective du Service de police de la Ville de Montréal qui devait entendre sa version des faits se sont finalement révélés vains. L’étudiante, dont la plainte a été retenue par l’ETS, n’a pas réussi à rencontrer la policière affectée à son dossier. Elle n’a eu aucun appel ni courriel depuis le mois de juillet. « Je ne sais même pas si ma plainte [progresse], a-t-elle laissé tomber. C’est comme ça quand la police traite les plaintes des jeunes femmes », a-t-elle ajouté, avant de préciser qu’elle s’était finalement résignée à contacter le Comité de déontologie policière.