Le rôle des universités

Ce texte fait partie du cahier spécial Francophonie
L’économiste Jean-Paul de Gaudemar est devenu recteur de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) en décembre 2015, alors que les instances francophones orientent de plus en plus leurs efforts vers le renforcement de la Francophonie économique. L’AUF organise, pour la première fois en collaboration avec l’Université de Montréal, son colloque annuel sur le thème du « rôle des universités francophones dans le développement économique ». En déplacement à Beyrouth, Jean-Paul de Gaudemar répond aux questions du Devoir.
Quels changements avez-vous apportés à l’AUF depuis votre arrivée ?
Nous avons continué bien des choses, mais j’ai voulu introduire, dès le départ, un conseil d’orientation stratégique, qui sera mis en place d’ici quelques mois. Je ne peux pas vous nommer tous ceux qui y siégeront, mais il y aura Anne Gaboury, p.-d.g. de Développement international Desjardins, également, Jean-Louis Roy, qui aura des choses intéressantes à dire. Je considère que l’AUF doit pouvoir s’appuyer sur des avis de personnalités susceptibles de nous donner un regard extérieur sur ce que nous faisons et nous aider à préciser nos objectifs en matière de développement et d’insertion professionnelle des diplômés.
Parce que l’université doit avoir, selon vous, une vocation d’enseignement et être un moteur du développement ?
Oui. Quand on regarde le Québec, on voit bien à quel point les universités ici comptent dans la vie économique et sociale. Dans nombre de pays, les universités commencent tout juste à pouvoir jouer ce rôle. D’autres sont encore engluées dans des problèmes basiques de formation initiale. L’AUF est là pour les aider à franchir le pas. Mais toutes les universités membres doivent également relever les défis d’aujourd’hui, qui ne sont pas ceux d’il y a 55 ans, au moment de la fondation de l’AUF, à Montréal. En 2000, il y avait 100 millions d’étudiants dans le monde. En 2015, on estime cette population supérieure à 200 millions. C’est une accélération fantastique, d’autant plus qu’il n’y avait que quelques millions d’étudiants il y a 50 ans. Ça veut dire que nos universités ne sont plus du tout celles qu’on a connues dans le passé. Le défi est de coller aux enjeux d’aujourd’hui.
Quand il est question de Francophonie économique, on pense au Bourgeois Gentilhomme de Molière, qui « fait de la prose sans le savoir ». La Francophonie n’a-t-elle pas toujours fait de l’économie sans le savoir ?
Ce n’est pas faux. La Francophonie économique est déjà là. Elle représente même 20 % des échanges mondiaux. Mais on a tendance à l’oublier. Comme on oublie que le fait de partager une langue suscite davantage de commerce. On a mesuré que les pays qui partagent la même langue échangent plus entre eux qu’avec d’autres. Ça représente jusqu’à 15 % d’accroissement des échanges. L’effet sur le PIB est certain. Il est important que l’on constate l’importance économique de la langue et qu’on en tire les conséquences. On ne peut plus promouvoir la francophonie en oubliant sa dimension économique. L’AUF apporte sa pierre dans cette démarche-là.
Quelles devraient être les priorités économiques francophones, selon vous ?
Les universités contribuent déjà à l’économie et au développement à travers la formation qu’elles dispensent, mais aussi en recherche fondamentale, en recherche appliquée, en création ou, plus simplement, par leur activité. Il s’agit d’abord d’en être conscient. Un enjeu majeur est le devenir professionnel des étudiants. Ce sont eux qui portent l’activité de demain. Mais dans certains pays, le taux de chômage des jeunes diplômés est d’autant plus élevé que le diplôme est élevé. Si les universités francophones produisent trop de diplômés qui ne peuvent réaliser leur insertion professionnelle dans leur pays, c’est qu’il y a un problème dans leur fonctionnement, mais aussi dans leur rapport à leur milieu social. Il faut faire bouger ça. Il faut transformer ça. Il faut le faire à travers un dialogue avec le monde économique, qui, malheureusement, n’existe pas encore au sein de l’AUF.
Ce colloque s’inscrit dans les travaux préparatoires du prochain Sommet de la Francophonie à Madagascar, dont l’AUF est l’un des principaux opérateurs. Quelles sont vos attentes pour ce sommet ?
C’est un rendez-vous important pour nous, même si nous n’y serons qu’un acteur parmi d’autres. Notre attente principale est que la résolution qui sera adoptée par les chefs d’État et de gouvernement soutienne nos projets et reprenne les thèmes qui nous sont essentiels, comme la qualité de la formation ou l’employabilité. C’est particulièrement important dans les pays où les universités dépendent de la tutelle de l’État, qui leur apporte également le soutien financier. Le Sommet agit comme une chambre d’écho.
Ce colloque prépare aussi l’assemblée générale quadriennale de l’AUF, qui aura lieu à Marrakech en mai 2017.
L’AUF, avant d’avoir été une opératrice francophone, a été créée à Montréal il y a 55 ans pour être un réseau d’universités. Nos membres sont des universités, plutôt que des pays. Notre légitimité, comme agence, vient des mandats que les universités nous donnent. Tant mieux si les autorités politiques valident nos recommandations, mais nous avons notre chemin à parcourir selon des objectifs qui sont les nôtres. J’espère que nous tirerons de ce colloque des recommandations qui permettront à nos universités d’évoluer en matière économique. Mais le plus important, après le colloque, sera de les transformer en action.
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