Ophélie Rivière, docteure en réussite

Ophélie Rivière aide Coralie à accomplir des exercices alors qu’elle est allongée, son bras droit connecté à une machine de dialyse.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Ophélie Rivière aide Coralie à accomplir des exercices alors qu’elle est allongée, son bras droit connecté à une machine de dialyse.

En cette rentrée scolaire, «Le Devoir» vous transporte dans la réalité d’élèves, de parents et d’enseignants, et de ceux qui les entourent. Septième et avant-dernière histoire de cette série qui raconte le début de l’année à la fin de l’été.

Ophélie Rivière a une bonne quinzaine d’élèves, mais pas de salle de classe. Avec des tonnes de cours à planifier, mais aucun bulletin à remplir. Son plus grand souhait ? Voir ses écoliers déguerpir à la maison le plus tôt possible. En santé.

Dans les corridors de l’hôpital Sainte-Justine, l’enseignante pousse avec aplomb son chariot, qui croule sous le matériel pédagogique destiné à Coralie, Kim et leurs amis. Des amis très spéciaux qui, en raison de la maladie, sont scolarisés au centre hospitalier pour enfants plutôt qu’à leur école de quartier. Son bolide transporte quelques tableaux blancs, des tonnes de jeux éducatifs, mais surtout beaucoup d’espoir pour ces jeunes pousses assoiffées de normalité.

L’an dernier, ils étaient quelque 550, répartis dans les différents hôpitaux de la métropole, à croiser le chemin de Mme Rivière et de sa vingtaine de collègues enseignantes du Service scolaire en milieu hospitalier de la Commission scolaire de Montréal, aussi appelé L’école à l’hôpital. Du lot, quelque 320 élèves ont été scolarisés au Centre hospitalier universitaire (CHU) Sainte-Justine.

Le plaisir de réussir

 

Cancers, maladies chroniques ou dégénératives, troubles de l’alimentation ou psychologiques… Les motifs d’hospitalisation varient d’un élève à l’autre. Les effets secondaires des traitements médicaux sur la capacité d’apprendre, aussi. Convaincre les parents de la pertinence de l’enseignement est généralement facile, selon Mme Rivière. Qu’en est-il, de persuader les enfants malades ? « Au début, ça ne leur tente pas. Et peu à peu, ils se rendent compte qu’ils ont hâte de nous voir. Parce que moi, je ne suis pas une infirmière, je ne viens pas te piquer. Je ne suis pas médecin, je ne viens pas t’annoncer une mauvaise nouvelle. Moi, je viens parce que tu es un élève comme tous tes autres amis, et je vais te montrer que t’es capable. »

« C’est ça, mon but ultime : de leur faire vivre des réussites, poursuit la jeune femme. Oui, je dois les faire progresser dans leur cheminement scolaire. Mais le plus important, pour moi, c’est que dans leur journée, ils aient vécu des réussites, au moins une réussite, et qu’ils en soient fiers. C’est ça, mon objectif dans la vie. »

Juste à côté, Coralie, douze ans, accomplit des exercices, allongée, son bras droit connecté à une machine de dialyse pour deux heures encore. « J’ai l’habitude. Mais c’est long », dit-elle, en pointant du menton son bras et les câbles qui acheminent le sang vers la machine, puis à nouveau vers ses veines. « J’ai mon iPad pour passer le temps, mais j’aime ça, les classes avec Ophélie. Ça fait trois ans que je viens ici, trois jours par semaine, ça va faire quatre ans en janvier. » Avec un peu de chance, la préado, inscrite en 5e année du primaire et qui paraît bien menue pour son âge, pourra obtenir une greffe de rein en décembre, croient ses médecins. « J’ai hâte d’obtenir ma greffe », dit-elle avec un sourire.

L’école à l’hôpital existe depuis plus de 40 ans. Les enseignants du service sont tous orthopédagogues, c’est-à-dire spécialisés dans l’intervention auprès des jeunes qui présentent des difficultés d’apprentissage. Comme ils doivent enseigner, souvent en l’espace de quelques heures, à des élèves de nombreux niveaux scolaires, ils doivent détenir une excellente connaissance de la matière, en plus du fonctionnement de l’établissement de santé, de sa culture, de ses pratiques, des maladies de leurs élèves et de leurs impacts sur l’apprentissage.

Aller à l’essentiel

Comme le temps est précieux et qu’être assis à un pupitre est souvent hors de question, la plupart des enseignements se font sous la forme de jeux et d’interactions entre l’enseignante et son élève. « On cible la matière prioritaire, explique Annie Caron, la directrice de L’école à l’hôpital depuis dix-sept ans. On va à l’essentiel avec l’enseignement du français et des mathématiques. On passe une heure par jour, parfois deux, avec chaque élève. »

Les réussites et les succès sont nombreux, assure Mme Caron. Rien de plus encourageant que de voir un élève quitter, le sourire aux lèvres, pour de bon l’hôpital de la Côte-Sainte-Catherine. Mais la réalité fait en sorte que ce n’est pas toujours le cas. Le retour des vacances estivales, de Noël ou de la relâche s’accompagne systématiquement d’une certaine appréhension, pour l’équipe de L’école à l’hôpital, explique Mme Caron. « Il n’y a pas de cours universitaire pour nous préparer à ça. »

Souvent, des enfants qui en sont à la dernière étape de leur trop courte vie insistent pour poursuivre leurs cours, jusqu’à la toute fin, expose Ophélie Rivière. Pour le côté normalisant de l’école, mais aussi pour garder le lien qui s’est construit pendant des mois, voire des années avec l’enseignante. « Mais il n’y a pas que ça. Pour les élèves, continuer, c’est aussi affirmer que quand tout le reste lâche, quand le corps cesse de fonctionner, il y a encore la tête qui fonctionne, et ils sont déterminés à le prouver », dit-elle, refoulant des larmes.


« Il y a 95 % de nos enfants qui entrent à la maison, mais, oui, il y a l’autre côté qui est plus difficile à vivre. Ces enfants-là, on les voit tous les jours, ils font partie de notre vie, de notre cheminement. Ce sont vraiment des moments de douleurs pour toute l’équipe lorsque ça arrive. »

Travailler à Sainte-Justine, c’est aussi côtoyer des enfants qui donnent de belles leçons de vie, ajoute Mme Rivière. « Et aussi de bons coups de pied au derrière, parfois ! Travailler avec eux, c’est un privilège. Et je me sens utile, je sens que je fais une différence. Et je vais faire ça tant et aussi longtemps que je le pourrai. »

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