

Des enfants qui ont de graves retards. Un réseau scolaire submergé de demandes. Des parents réclamant des services à...
Au Québec, un enfant sur cinq atterrit dans la vaste catégorie des enfants ayant des besoins particuliers. Pour les parents de ces petits, la rentrée, généralement associée à une fébrilité, est plutôt synonyme d’angoisse. Est-ce que leurs enfants vont recevoir tous les services auxquels ils ont droit ? Au bout de cette question lancinante, l’incertitude plane.
Ces jeunes handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (HDAA, voir encadré) sont souvent trimballés d’une classe et même d’une école à l’autre. D’autres sont intégrés dans des groupes ordinaires sans que les services spécialisés dont ils ont besoin les suivent. Des professeurs dépassés par l’ampleur du défi ont l’impression d’abandonner certains élèves.
« Pour les parents d’un enfant en difficulté, c’est une guerre quotidienne qui reprend chaque rentrée scolaire, soupire Corinne Payne, présidente de la Fédération des comités de parents du Québec. Ils se demandent si leur enfant va avoir les services nécessaires à son développement, s’il y aura un suivi du plan d’intervention de l’année précédente ; ils se questionnent sur la façon dont va se passer l’intégration.
« C’est encore plus vrai depuis ces dernières années, avec les compressions dans les services. Quand on annonce des coupes de professionnels, on sait qu’il y a de grands risques que notre enfant reçoive moins de services. Et ça, c’est vraiment angoissant pour les parents. »
À la Commission scolaire de Montréal (CSDM), on a déjà annoncé que plusieurs classes spécialisées seront déménagées dans d’autres écoles cet automne en raison du manque d’espace. Et si le pire a été évité en matière de compressions, grâce au réinvestissement de 109 millions de dollars annoncé au printemps dernier, on craint encore les mauvaises surprises.
« Chaque année, à la rentrée, c’est la même chose. C’est là qu’on détecte les problèmes, toutes ces choses qui devraient fonctionner sur papier mais qui ne marchent pas dans la réalité. C’est là aussi qu’on voit l’effet du roulement de personnel, les spécialistes encore là en juin mais qui n’y sont plus à cause du budget adopté pendant l’été. Des parents à qui on avait promis tel ou tel service apprennent que, finalement, ce ne sera pas possible. C’est triste, mais c’est souvent ça. Et c’est l’enfant qui est pénalisé à la fin », déplore Ève Kirlin, du comité de parents de la CSDM.
Il n’y a pas que les parents et les enfants en difficulté qui souffrent du manque de ressources. Les professeurs et les enfants dits sans besoins particuliers écopent eux aussi, constate Gérald Boutin, professeur au Département d’éducation de l’UQAM, qui vient de publier un rapport sur l’intégration scolaire des élèves en difficulté pour le compte de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE).
« J’ai entendu des témoignages déchirants, des professeurs qui sont désespérés parce qu’ils voudraient aider tous les élèves, ceux en difficulté autant que les autres, mais qui n’y arrivent pas parce que les classes sont trop débalancées. »
Lorsqu’il a commencé à étudier le phénomène, tous les enfants en difficulté étaient dans des classes spéciales, se rappelle l’expert. Dans les années 1980, des recherches ont démontré que ces classes ne représentaient pas la solution idéale pour tous. Depuis, dans un souci d’intégration, on transfère de plus en plus d’enfants en difficulté dans les classes ordinaires. Et le mouvement d’intégration s’est encore accéléré ces dernières années en raison des compressions.
J’ai entendu des témoignages déchirants, des professeurs qui sont désespérés parce qu’ils voudraient aider tous les élèves, ceux en difficulté autant que les autres, mais qui n’y arrivent pas parce que les classes sont trop débalancées
Au primaire, en 2014-2015, c’est près de 84 % des enfants HDAA qui étaient intégrés dans des classes ordinaires.
« On disait qu’il fallait les intégrer sous certaines conditions. Mais ça, malheureusement, on l’a oublié en cours de route, remarque M. Boutin. On les a intégrés de façon massive, certains parlent même d’intégration sauvage. On a donc fermé beaucoup de classes sans les remplacer par d’autres dispositifs qui auraient été, par exemple, d’augmenter le nombre d’orthopédagogues et de psychologues scolaires. Dans ces conditions, les enseignants sont débordés. Certains se retrouvent avec près de la moitié de leur classe en difficulté. Ils sont seuls face à des problèmes très complexes pour lesquels ils ne sont pas formés. Ça ne va plus du tout. »
En parallèle à cette intégration massive, il faut aussi compter sur l’explosion du nombre d’élèves HDAA. Aujourd’hui, c’est une réalité qui touche près de 20 % des enfants. « Le jour où on dit qu’un enfant sur cinq ne réussit pas à atteindre les objectifs d’apprentissage liés à l’enseignement ordinaire, c’est on ne peut plus préoccupant », affirme Égide Royer, professeur en adaptation scolaire à l’Université Laval.
Mais ce qui l’inquiète encore plus, c’est que seulement 45 % de ces jeunes obtiennent leur diplôme d’études secondaires en sept ans, comparativement à une moyenne de 78 % pour l’ensemble des jeunes du Québec.
Il s’inquiète des effets qu’a pu avoir la réforme pédagogique des années 2000. « La recherche est claire : l’idée d’y aller par la pédagogie de la découverte ou de projet, ça fonctionne pour la majorité des jeunes, mais pas pour les élèves en difficulté. Quand vous avez une difficulté en lecture, ça prend une intervention, ça prend un enseignement explicite. Il faut que je vous montre que la lettre “a” va avec le son “a” et que le “a” se trouve dans le mot “banane”. C’est pour ça que la réforme a planté avec les jeunes en difficulté. »
Selon lui, il faut changer d’approche : « Faire plus de la même chose, ce n’est pas suffisant. […] Il faut cesser d’improviser et appliquer les pratiques exemplaires, faire ce qui est prouvé qui fonctionne. »
L’une des solutions passe par l’établissement d’un plancher minimal de services professionnels avec un ratio d’un professionnel pour 200 élèves, selon M. Royer. Il faut également intervenir le plus tôt possible, par la maternelle 4 ans et le suivi des jeunes lecteurs en première année.
« La majorité des jeunes vont bien suivre le parcours, mais très rapidement on va en voir qui ont de la difficulté. Il faut intervenir tout de suite, devenir quasiment obsessif par rapport à nos lecteurs débutants. Si vous ne savez pas lire à la fin de la 3e année, votre probabilité d’obtenir un diplôme baisse aux environs de 20 %. C’est énorme. Il faut également miser sur les nouvelles technologies, un domaine dans lequel on est encore sous-développé au Québec », estime l’expert.
Son confrère Gérald Boutin estime qu’il faut davantage de souplesse, des classes à mi-chemin entre la classe ordinaire et la classe spéciale qui permettent des transitions en cours de cheminement scolaire, de même que des classes ressources qui permettent à l’enfant de sortir de sa classe ordinaire en journée pour aller chercher de l’aide spécifique. Mais, surtout, il faut éviter de tomber dans le piège du « modèle absolu », prévient-il.
« On a longtemps donné la Finlande comme modèle, mais on s’est rendu compte que c’était surfait. On a toujours l’idée d’aller voir ailleurs ce qui se passe, mais c’est un risque et une perte de temps. S’inspirer de divers modèles et faire notre propre substance, ce serait l’idéal. »
Des enfants qui ont de graves retards. Un réseau scolaire submergé de demandes. Des parents réclamant des services à...
L’école, un combat quotidien pour des services aux enfants aux besoins particuliers.
Les enfants bénéficient d’une scolarité précoce à condition que la qualité soit au rendez-vous.
Sébastien Proulx compte s’attaquer aux écueils que rencontrent les parents d’enfants à besoins particuliers.