Un programme québécois avantageux et mieux ciblé

En février dernier, l’Ontario annonçait qu’il rendait l’université gratuite pour tous les étudiants dont le revenu familial est inférieur à 50 000 $. Quelques semaines plus tard, c’était au tour du Nouveau-Brunswick d’adopter une politique de gratuité pour les familles à faible et moyen revenu. Mercredi, le gouvernement de l’Île-du-Prince-Édouard affirmait qu’il songeait sérieusement à leur emboîter le pas. Est-ce que cette mesure serait applicable au Québec et, si oui, est-ce qu’elle profiterait aux étudiants les moins nantis ?
Le gazon est toujours plus vert dans la cour du voisin, dit l’adage. Mais les nouvelles politiques de gratuité adoptées en Ontario et au Nouveau-Brunswick pour les universitaires moins nantis ne sont peut-être pas aussi intéressantes qu’il n’y paraît pour les Québécois. Elles ont l’avantage d’envoyer un signal clair pour faire éclater la barrière des perceptions, mais, dans les faits, le système québécois de prêts et bourses serait plus avantageux et mieux ciblé pour les étudiants les plus pauvres, soutiennent les experts.
« Le régime québécois est déjà meilleur que ce qu’on peut observer ailleurs, du moins pour les plus démunis », affirme le chercheur Pier-André Bouchard St-Amant, qui analyse le financement des universités à travers différents modèles mathématiques depuis des années.
Il tente de replacer les annonces de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick dans leur contexte. Les frais de scolarité ont augmenté « drastiquement » dans ces provinces dans les années 1990, mais les programmes de prêts et bourses n’ont pas suivi, rappelle-t-il. Ce n’est donc qu’une forme de « rattrapage » qui est faite par ces gouvernements. Car ces annonces sont, tout compte fait, une bonification des bourses déjà existantes qui équivalent à une gratuité pour les ménages de moins de 50 000 $ en Ontario, et de moins de 60 000 $ au Nouveau-Brunswick.

Plus généreux au Québec ?
« Si la gratuité scolaire est d’offrir des bourses pour les moins nantis, le Québec est chef de file depuis 1966 », soutient l’économiste, qui a été président de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) en 2004-2005.
Au Québec, on offre une aide financière sous forme de prêt d’abord et le reste sous forme de bourse, dont le montant augmente plus le revenu diminue. Mais cela ne se calcule pas uniquement en fonction du revenufamilial, explique Pier-André Bouchard St-Amant. En effet, on prend en considération divers facteurs, à savoir si l’étudiant habite ou non chez ses parents, si la municipalité qu’il habite est desservie par le transport en commun, etc. « La mécanique de calcul est plus complexe, mais l’aide accordée est plus généreuse. »
Plus généreuse, vraiment ? Elle l’est assurément pour les étudiants dont le revenu familial est de moins de 35 000 $, répond-il. Là où ça se complique, c’est dans la tranche de revenu suivante, entre 35 000 $ et 50 000 $. Dans cette catégorie d’étudiants, le nouveau système ontarien est probablement plus avantageux pour bon nombre d’entre eux. « Ceci étant dit, ceux qui vont être avantagés dans cette catégorie de revenus au Québec, c’est parce qu’ils vont avoir fait la démonstration qu’ils en ont besoin. Donc, si je résume, le régime ontarien est plus simple, mais il aide du monde qui en a peut-être moins besoin. »
Slogan politique
À l’Institut économique de Montréal, le chercheur Youri Chassin estime lui aussi que le régime québécois est meilleur que ce qui vient d’être adopté en Ontario et au Nouveau-Brunswick. Le Québec n’aurait donc aucune raison, selon lui, de tenter d’épouser ces politiques de gratuité pour les étudiants moins nantis. « C’est un slogan politique très fort, mais qui ne change pas grand-chose dans la réalité. »
Il reconnaît qu’il y a un « problème d’accès » pour une partie de la classe moyenne ailleurs au Canada, mais que cela ne s’applique pas au Québec. « Même si ça peut avoir l’air d’une solution intéressante, un gouvernement responsable au Québec va dire que notre situation est différente et que ce n’est pas intéressant pour nous parce que ça aide financièrement très peu de personnes au détriment de la majorité. »
La barrière
Au bout du fil, Martin Maltais, professeur au Département des sciences de l’éducation à l’Université du Québec à Rimouski, conteste l’argument selon lequel le Québec fait mieux avec un programme plus ciblé. « Je reste toujours un peu étonné de ce genre de réponse là. Ça peut être vrai, mais la vraie question, c’est la barrière à l’entrée. Et cette barrière en est une de perceptions. Là-dessus, l’Ontario a compris quelque chose. […] On veut simplifier la lecture pour l’étudiant, parce que c’est lui que l’on veut voir s’inscrire. »
La beauté du nouveau système ontarien, c’est qu’il envoie un message limpide : les étudiants en bas d’un revenu de 50 000 $ ont besoin d’aide. Et leurs études seront donc gratuites. Ça a le mérite d’être clair. Et ça, tous les experts s’accordent pour dire que c’est un avantage considérable.
Le régime québécois, de par sa complexité, alimente plutôt la perception selon laquelle l’université coûte trop cher, ce qui constitue un frein pour les étudiants issus de milieux défavorisés, répète le spécialiste en financement des universités. « Si le régime n’est pas clair, pour les jeunes, l’idée initiale, c’est que les coûts sont plus élevés. Et ce n’est pas vrai qu’un incitatif fiscal est un incitatif pour un jeune qui est dans le moment présent. »
Question de perception
Martin Maltais cite l’étude de Lucia De Brouckère (2005), avec laquelle il se dit « assez en phase », étant lui-même un étudiant de première génération, c’est-à-dire un étudiant dont les parents ne sont pas allés à l’université.
Selon cette étude, les étudiants issus de classes socio-économiques défavorisées perçoivent généralement les coûts liés à l’université comme étant plus élevés que les bénéfices, ce qui ne favorise pas la poursuite ou l’engagement dans les études supérieures. « Et ça, c’est sans compter les contraintes culturelles liées au milieu dans lequel ils évoluent et au fait que c’est un milieu avec lequel ils ont peu ou pas de relations. La tendance, c’est donc d’avoir des parcours qualifiants », explique le professeur.
« Présentement, il y a des gens qui ont les capacités, les compétences et les aspirations, mais qui ne s’engagent pas dans le parcours universitaire. On ne les voit pas dans les demandes d’aide financière parce qu’ils ne se rendent même pas à l’université. Si je réduis la perception que les coûts sont trop élevés, j’augmente le nombre de personnes qui entrent dans ce parcours-là. Et nécessairement, je vais avoir plus de gains. Ça, pour moi, c’est clair. »
Un impact sur le milieu d’origine
Il ne se fait toutefois pas d’illusions sur la capacité d’aller chercher de nouveaux étudiants avec une telle mesure. « On n’ira pas chercher Mathusalem avec une mesure comme ça, ça ne réglera pas tout, mais si on réussit à aller chercher un 10 % de plus dans la classe socio-économique qui est moins avantagée, c’est un gain net. Je n’ai pas besoin d’avoir une grosse augmentation chez cette population pour avoir un impact significatif structurant. […] C’est une mobilité sociale dans le temps qui va avoir un impact dans leur communauté d’origine et influencer leurs enfants à s’engager aussi dans un parcours universitaire. »
Martin Maltais, qui a été conseiller de l’ex-ministre de l’Éducation supérieure Pierre Duchesne au moment du Sommet sur l’éducation supérieure en 2013, ne voit que des gains à une telle mesure. « À mon avis, il n’y a que des pour. Si j’avais à conseiller un ministre, c’est probablement une recommandation que je ferais. Et je l’ai déjà faite antérieurement. »
Principe d’universalité
Ancien président du Conseil supérieur de l’éducation et professeur émérite de l’Université de Montréal, Claude Lessard regarde ce qui se passe chez nos voisins de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick avec un mélange d’intérêt et de craintes. « C’est une forme de modulation. On en avait discuté en marge du printemps érable. […] Mais certains groupes craignaient qu’on ouvre une boîte de Pandore, qu’on se mette à faire une hiérarchisation avec une modulation qui peut être en fonction du revenu, mais aussi en fonction du champ d’études. »
Il se dit d’accord avec une telle mesure, uniquement dans un contexte où il s’agit d’une première étape vers un modèle universel de gratuité scolaire. « Je suis peut-être de la vieille école, mais je n’aime pas les régimes qui ne sont pas universels. Je préfère la gratuité scolaire pour tous à la gratuité pour une partie de la population, parce que c’est une forme d’égalité qui est très claire pour tout le monde. »
Est-ce que ces annonces mettent de la pression sur le gouvernement du Québec ? Très peu, répondent de façon presque unanime les experts. « Une des raisons qui me font croire que ça ne mettra pas de pression politique sur le gouvernement, c’est que le Parti libéral et tous les autres partis à l’Assemblée nationale ne veulent pas toucher au dossier des frais de scolarité avec un pôle de dix pieds, conclut Youri Chassin, de l’Institut économique de Montréal. Depuis 2012, il n’y a personne qui veut toucher à ça, c’est radioactif comme sujet. Alors évidemment, je pense que ça ne passera pas. »