L’iceberg qui cache un sabordage du réseau?

Marie-Hélène Alarie Collaboration spéciale
« On assiste à une relative stagnation du nombre de places en CPE et en garderies en milieu familial alors qu’il y a une véritable explosion des places en garderies privées », rappelle Philippe Hurteau.
Photo: Annik MH De Carufel Le Devoir « On assiste à une relative stagnation du nombre de places en CPE et en garderies en milieu familial alors qu’il y a une véritable explosion des places en garderies privées », rappelle Philippe Hurteau.

Ce texte fait partie du cahier spécial Rendez-vous de l'éducation de la CSQ

En 1990, un réseau de services de garde éducatifs a vu le jour au Québec. Depuis le début des années 2000, il subit de nombreuses coupes et compressions, et la modulation des tarifs marque peut-être le début de la fin. Sommes-nous en train de démanteler le réseau des CPE ?

Pour Valérie Grenon, première vice-présidente à la Fédération des intervenantes en petite enfance du Québec, affiliée à la CSQ, l’équation est on ne peut plus simple : « Une coupe de 32 000 $ dans un CPE de 60 places, ça représente tout simplement le salaire d’une éducatrice. » Dans la réalité, ça ne sera probablement pas une éducatrice qui va perdre son emploi, mais la plupart pourraient voir le nombre de leurs heures de travail diminuer. Mme Grenon poursuit avec l’exemple d’un enfant de trois ans qui va arriver le matin au service de garde et qui pourrait voir deux ou trois éducatrices durant la journée plutôt qu’une seule : « C’est la stabilité de l’enfant qui est en jeu. Le lien d’attachement primaire que la maman veut pour son enfant quand il est dans un service de garde qui n’existera plus. »

Jusqu’à présent, depuis 2012, les coupes dans le réseau des services de garde à la petite enfance régis et subventionnés représentent 230 M$. Tous les jours, l’effet de ces coupes se fait sentir sur la qualité de la nourriture, par la diminution du matériel pédagogique, par le manque de salubrité des locaux parce que les préposés ont perdu leur emploi tout comme certaines éducatrices. « On a très peur des prochaines décisions que les directeurs vont prendre. »

Et si ce n’était que la pointe de l’iceberg ?

La modulation des tarifs

 

Au-delà des coupes et des compressions, le choix du gouvernement, plus insidieux et pernicieux, de moduler les tarifs pourrait signifier le début de la fin pour le réseau des CPE. C’est du moins ce que démontrent les recherches de Philippe Hurteau de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques, l’IRIS. M. Hurteau est politologue et il achève actuellement un doctorat à l’Université d’Ottawa en pensée politique. Il s’intéresse principalement aux mutations de l’État sous l’effet du néolibéralisme : « On voit apparaître le néolibéralisme en éducation et en santé quand les différents gouvernements mettent en place des réformes de financement qui ont comme conséquence de mettre en concurrence les établissements pour présider à la répartition du financement. On utilise des mécanismes propres à l’entreprise privée pour organiser les services publics. »

Cette tendance, on ne la remarque pas seulement au Québec, mais un peu partout dans le monde occidental. Pourquoi ? Parce que « la force idéologique du néolibéralisme, c’est que privatisation ou pas on en vient à comprendre le mode d’organisation des entreprises privées comme étant un mode supérieur et plus efficace, plus rentable et plus rationnel que le mode étatique traditionnel ».

Dans le cas des CPE et pour l’ensemble des services de garde subventionnés, on constate un effet pervers à la modulation des tarifs en fonction du revenu des individus. « C’est ce qu’on peut appeler une fausse bonne idée. À première vue, il y a une logique de justice fiscale à faire payer plus aux riches et moins aux moins fortunés pour qu’ainsi tous aient accès aux mêmes services », explique notre chercheur. Mais le problème, ajoute-t-il, c’est qu’en fait les plus fortunés paient déjà davantage en contributions fiscales que les moins fortunés en raison du mécanisme de l’impôt. En créant un tarif particulier, au lieu de simplement revoir la fiscalité pour financer les services adéquatement, « on vient décourager les gens qui ont plus d’argent de vouloir payer ou d’adhérer à la logique de la justice redistributrice au moyen de l’impôt, parce que si ces gens paient plus que tout le monde sous un prétexte de solidarité et qu’en plus ils doivent payer plus pour accéder au service… ils se posent des questions ». Et Philippe Hurteau est convaincu qu’ils commencent à se dire qu’on devrait abolir les disparités au niveau de l’impôt et appliquer le principe de l’utilisateur-payeur ; ainsi « ils paieront plus, mais pas deux fois ». Ce principe vient affaiblir une base de notre système fiscal en créant du mécontentement.

C’est l’effet indirect de la modulation des tarifs. Le gouvernement a voulu faire passer des hausses de tarifs tout en tentant de rendre la mesure socialement acceptable ; « la modulation est devenue la solution miracle, mais ce n’est ni une solution de politiques publiques, ni d’organisation des services, ni même liée au financement concret des services, c’est une solution de communication politique ».

Donc, dans un premier temps, on affaiblit l’adhésion à un système de redistribution de la richesse à travers l’impôt et, dans un second, en raison de la modulation et en raison de la bonification des crédits d’impôt pour les services de garde, « on en vient à indifférencier, pour plusieurs familles, le coût d’envoyer son enfant dans une garderie publique ou dans une garderie privée non subventionnée ».

On peut qualifier le réseau des CPE de réussite dans l’univers des politiques sociales adoptées à la fin des années 1990, tout comme la politique du régime de l’assurance parentale. Est-ce que présentement on ne serait pas en train d’en affaiblir certaines fondations alors qu’on devrait continuer de développer le réseau, d’augmenter le nombre de places pour qu’effectivement il puisse répondre aux besoins de la population ? « On assiste à une relative stagnation du nombre de places en CPE et en garderies en milieu familial alors qu’il y a une véritable explosion des places en garderies privées », rappelle Philippe Hurteau. Depuis 2008, on observe une augmentation de plus de 1000 % du nombre de places en milieu privé. L’existence même de garderies privées non subventionnées au Québec est un phénomène relativement nouveau : « Au début des années 2000, on parle de quelques centaines de places en garderies privées. En 2008, c’est quelque chose comme quelques milliers de places et aujourd’hui on est rendus à 50 000. »

Si la privatisation n’est pas l’objectif du gouvernement en matière de services de garde, on peut quand même affirmer sans se tromper qu’actuellement « on met en place une structure de tarification qui favorise le privé », met en garde Philippe Hurteau.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

À voir en vidéo