La concurrence en éducation se manifeste sur plusieurs fronts

Réginald Harvey Collaboration spéciale
En 2014, il y avait près de 22 % des élèves francophones qui fréquentaient une école secondaire privée, selon le ministère. Et, entre 1998 et 2010, le nombre de projets pédagogiques particuliers a doublé.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir En 2014, il y avait près de 22 % des élèves francophones qui fréquentaient une école secondaire privée, selon le ministère. Et, entre 1998 et 2010, le nombre de projets pédagogiques particuliers a doublé.

Ce texte fait partie du cahier spécial Rendez-vous de l'éducation de la CSQ

Il y a les écoles privées qui, particulièrement dans les grands centres urbains, grugent dans les clientèles du secteur public. Il y a les projets particuliers que les commissions scolaires ont adoptés pour contrer en partie l’exode vers le privé. Tant et si bien que, de nos jours, plus de la moitié des élèves ont délaissé ce qu’il est convenu d’appeler la classe ordinaire dans la majorité des milieux scolaires. Qu’en est-il de la concurrence en éducation et de ses conséquences ?

Depuis une vingtaine d’années, cette concurrence est devenue encore plus vive avec l’apparition dans le secteur public de projets souvent sélectifs, dont font notamment partie les écoles internationales et les programmes de sport-études : « Ils sont avalisés par le ministère de l’Éducation et font l’objet d’une compétition entre des écoles d’une même commission scolaire », fait remarquer Sylvie Théberge, première vice-présidente du comité exécutif de la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ).

Elle observe d’un oeil critique les changements qui se profilent en éducation : « Dans le contexte présent où il y a une consultation en commission parlementaire sur le projet de loi 86 actuellement sur la table, on se doit de préciser que celui-ci comporte un mécanisme pour favoriser l’augmentation de la concurrence ; il prévoit, par exemple, une augmentation substantielle des pouvoirs des conseils d’établissement en fonction desquels chaque école voudra se distinguer d’une autre. » Par conséquent, les projets particuliers pourraient connaître une recrudescence au secondaire, voire au primaire.

Statistiques révélatrices et effets pervers

 

Mme Théberge pose le constat que l’offre est en croissance et qu’elle suscite une concurrence accrue. Elle a compilé des données qui parlent d’elles-mêmes à ce propos : en 2014, il y avait près de 22 % des élèves francophones qui fréquentaient une école secondaire privée, selon le ministère. Et, entre 1998 et 2010, le nombre de projets pédagogiques particuliers a doublé ; ils s’élevaient à 949 au terme de cette période, selon la fédération. De 2011 à 2013, soit en deux années scolaires, la FSE établit que le nombre d’élèves dans les programmes d’anglais intensif, accessibles fréquemment de manière sélective, a presque doublé en passant de 4700 à 9000.

Une fois ces chiffres avancés, la vice-présidente évalue leurs impacts sur le système : « Il est certain que les nombreux témoignages recueillis et que certains travaux menés dans les milieux nous conduisent à la conclusion que la classe qu’on disait “régulière” est devenue maintenant ce qu’on appelle une classe ordinaire ; elle est alourdie parce que le nombre d’élèves en difficulté y a grandement augmenté dans un contexte où le financement est réduit et où les services ne sont pas au rendez-vous. » Pendant ce temps, les élèves qui ont plus de facilité se dirigent vers le privé ou vers des projets pédagogiques particuliers.

Il en résulte cette situation sur le plan social : « Il s’est développé en éducation une sorte de phénomène de clientélisme en vertu duquel on essaie de créer des écoles à la carte que les gens magasinent. » Il en découle, par exemple, que « toute la notion d’appartenance à l’école de quartier et d’identification à son milieu de vie est de moins en moins significative pour l’élève ». Il y a aussi des enfants qui sont pénalisés : « On voit que, dans les endroits plus défavorisés, il existe peu de projets particuliers qui leur sont accessibles en raison de contraintes financières ou organisationnelles ; ils ont accès à ce moment-là à des profils plus limités. »

Une formation de base nécessite du temps

 

La Fédération des syndicats de l’enseignement en est venue à définir un certain nombre de mesures qui seraient propres à enrayer la concurrence et ses effets pervers. Sylvie Théberge en dresse ce portrait : « On n’a pas la prétention de les avoir toutes déterminées, mais il y en a au minimum quatre, dont la première consiste à diminuer graduellement le financement des écoles privées, ce que la CSQ prône d’ailleurs depuis longtemps. »

En contrepartie, elle assure « qu’il faudrait penser à augmenter le financement dans les écoles publiques ; mais il vaut mieux dire, dans le concert des coupes qui ont eu lieu, qu’il faut réinvestir dans celles-ci pour qu’elles redeviennent attrayantes et pour qu’elles contribuent à une vision sociale dont le Québec s’était doté depuis les années 1960, soit celle d’assurer l’égalité des chances pour tous. C’est de première importance et on pourra atteindre ce noble objectif en se dotant d’infrastructures en bon état conjuguées avec des services en quantité suffisante dans les milieux ».

Elle ne rejette pas l’apport de projets particuliers, à condition « qu’ils soient accessibles à tous par l’entremise de profils ou de couleurs propres aux établissements et qu’on réussisse à équilibrer les groupes pour assurer des conditions d’apprentissage adéquates pour l’ensemble des élèves. Voilà ce qui peut aussi nous aider à enrayer ou à faire disparaître la concurrence ».

Un quatrième élément se dessine dans le décor : « Sur le plan législatif, ce qui est un incontournable en vertu du programme de formation de l’école québécoise, c’est qu’il faut un temps minimum prescrit pour garantir l’approfondissement des matières et pour s’assurer que chaque discipline qui figure au programme dispose de l’espace suffisant pour que l’élève soit bien formé. »

Tel n’est pas le cas à l’heure actuelle, parce que « les projets particuliers contraignent à retrancher des heures dans certaines disciplines pour qu’il soit possible de participer [à d’autres], à titre d’exemple, les programmes de hockey-études ou de volleyball-études ». Elle s’en prend à ces projets qui enlèvent des heures aux mathématiques, au français, aux arts, à l’éthique et à la culture religieuse : « Pour nous, en tout cas, on remet de cette façon en cause la notion de curriculum de base pour l’ensemble des élèves du Québec. Il faut du temps pour obtenir une formation de base solide. »

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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