De l’importance des lunettes bien ajustées

André Lavoie Collaboration spéciale
Une fois la difficulté diagnostiquée, qu’il s’agisse de dyscalculie ou de dysphasie (trouble de la communication verbale), ce n’est pas tout d’avoir un logiciel performant ou une tablette électronique.
Photo: Source Purestock Une fois la difficulté diagnostiquée, qu’il s’agisse de dyscalculie ou de dysphasie (trouble de la communication verbale), ce n’est pas tout d’avoir un logiciel performant ou une tablette électronique.

Ce texte fait partie du cahier spécial Éducation: troubles d'apprentissage

Les technologies de l’information et des communications (TIC) seraient-elles la planche de salut des 800 000 Québécois souffrant de troubles d’apprentissage ? Les dictionnaires électroniques, correcteurs orthographiques et autres logiciels de suggestions de mots ou de synthèse vocale peuvent-ils combler toutes les carences des personnes atteintes de dyslexie ou de dyscalculie ? Les progrès sont réels et rapides, mais il faut éviter la pensée magique, rappellent certains experts.

Il y a quelques décennies, dans les écoles, les troubles d’apprentissage se résumaient à des problèmes de comportement ou de paresse congénitale, le remède étant le plus souvent le bonnet d’âne et le bureau au fond de la classe pour aboutir au décrochage scolaire. Même après la fondation du ministère de l’Éducation en 1964, on était loin de se douter que les expressions « obstacles neurologiques » ou « surcharges cognitives » feraient un jour leur entrée dans le vocabulaire pédagogique pour combattre les difficultés de certains élèves à lire, écrire, ou se concentrer sur une tâche simple.

Madeleine Fauteux, personne-ressource à l’Institut des troubles d’apprentissage, et Jean Chouinard, conseiller pédagogique au Service national du RECIT en adaptation scolaire, suivent depuis longtemps l’évolution des TIC pour qu’elles puissent mieux servir une clientèle trop longtemps négligée et incomprise. Ils se souviennent des premiers ordinateurs peu performants, mais surtout de la grande résistance du milieu scolaire, et du ministère, à voir débarquer dans les classes ces appareils qui semblaient à certains comme autant d’avantages indus pour un groupe d’élèves.

Lors d’une entrevue conjointe où les deux spécialistes complétaient leurs réponses dans un bel esprit de complicité, Jean Chouinard a repris une métaphore qu’il utilise souvent pour illustrer l’importance des TIC pour ceux et celles souffrant de troubles d’apprentissage. « Les lunettes, précise-t-il, ça permet de compenser une difficulté marquée à lire, et non de voir mieux que les autres. Les aides technologiques fonctionnent sur le même principe : combler les écarts en lecture ou en écriture, en plus d’offrir une meilleure égalité des chances. » Sur ce point, Madeleine Fauteux apporte une nuance sur la question de l’égalité. « Si je donne une paire de lunettes à tout le monde, ça nuira à certains. Un élève sera vite dérangé par le logiciel de synthèse vocale s’il n’en a pas besoin : lire dans sa tête, c’est trois fois plus rapide que de lire à voix haute. Mais pour l’élève dyslexique, ça soutient sa compréhension du texte, sinon il met toute son énergie à le décoder, et il n’en reste plus pour le comprendre. Même avec la synthèse vocale, cet élève va terminer sa lecture après les autres. »

Ces fameuses lunettes, on le sait, n’ont pas eu droit de cité dans les classes pendant longtemps, mais une première ouverture en 2008 a permis l’utilisation des outils technologiques pour les élèves en troubles d’apprentissage, et deux ans plus tard pour ceux et celles ayant des besoins particuliers. Les nuances sont importantes, car une fois la difficulté diagnostiquée, qu’il s’agisse de dyscalculie ou de dysphasie (trouble de la communication verbale), ce n’est pas tout d’avoir un logiciel performant ou une tablette électronique.

Les deux chercheurs craignent la fameuse pensée magique version techno. Pour Madeleine Fauteux, « il est impossible d’appliquer la même solution à deux élèves ayant le même trouble d’apprentissage ». « Quand un enseignant me demande si l’aide technologique peut être pertinente pour un élève, ajoute Jean Chouinard, ma démarche en tant que conseiller pédagogique est de savoir quelles sont les tâches et les compétences que l’on veut qu’il développe. » Pour bien définir les besoins, il faut donc observer et comprendre celui à qui l’outil est destiné.

« Il y a des dérives potentielles face à ce que j’appelle l’aide techno-médicamenteuse, souligne Jean Chouinard. De la même façon que le Ritalin ne règle pas tous les problèmes, je vois certains parents tomber des nues devant les faibles performances de leur enfant après avoir acheté plusieurs logiciels coûteux, car ils mettent beaucoup d’espoir dans ces technologies. » Comme tous savent déjà qu’une plume ou un ordinateur n’engendre pas un écrivain, les nouveaux outils disponibles sont d’abord cela : des outils.

Madeleine Fauteux abonde dans le même sens que son collègue, voyant naître sur le terrain des attentes parfois démesurées. « Quand j’accompagne des élèves, des parents et des enseignants, je perçois cette idée de la magie qui arrive enfin. Je dois souvent répéter que l’ordinateur n’est pas intelligent, il propose toutes sortes de choix, même les plus absurdes. C’est l’utilisateur qui est intelligent, et c’est à l’enseignant, à l’orthopédagogue, aux parents, d’accompagner l’élève. Mieux il comprendra le potentiel de l’outil, mieux il saura s’en servir. »

Malgré ces quelques « dérives », ni Jean Chouinard ni Madeleine Fauteux ne reviendraient dans cette sorte de « bon vieux temps » où les choses étaient plus manichéennes dans les salles de classe. Le développement des TIC dans les écoles primaires et secondaires du Québec a permis à de nombreux élèves d’accéder aux niveaux collégial et universitaire « sans obtenir de diplômes à rabais, tous étant évalués de la même façon », insiste Madeleine Fauteux. Ceux et celles atteints d’un trouble d’apprentissage ne sont pas affligés d’une maladie grave. Bien au contraire, souvent victimes de discrimination, ils développent une ténacité remarquable pour arriver à des résultats comparables aux autres, affichant aussi beaucoup de créativité. Pour bien des organisations et des entreprises, ce sont de formidables atouts. « Et c’est en droite ligne avec la mission de l’école : favoriser la réussite, développer le plein potentiel des élèves, pour qu’ils deviennent de véritables citoyens », résume Madeleine Fauteux. Il suffit parfois d’avoir des lunettes bien ajustées.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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