Les enfants avec des troubles de langage laissés pour compte

Ce texte fait partie du cahier spécial Éducation: troubles d'apprentissage
Parents et professeurs sont les mieux placés pour détecter les troubles du langage et de l’apprentissage chez l’enfant. Mais il y a bien des facteurs qui entrent en ligne de compte dans le dépistage de tels problèmes, qui peuvent gâcher sur plusieurs plans l’existence de quelqu’un durant toute une vie.
Phaedra Royle, professeure à l’École d’orthophonie et d’audiologie, qui est rattachée à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, recense les principaux de ces troubles : « Une étude a été publiée récemment qui comparait la prévalence de ceux-ci et qui se penchait aussi sur la recherche qui est effectuée dans ces domaines-là : elle démontre que la dysphasie, aussi appelée trouble spécifique du langage [TSL], est le plus commun et qu’il se situe à peu près au même niveau que la dyslexie ; on évalue que 60 enfants sur mille ont un trouble de type dyslexie/dysorthographie et que 74 enfants sur mille sont atteints de trouble spécifique du langage. »
Il est démontré que, en comparaison, le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) atteint 50 enfants sur mille et l’autisme, environ 6 sur mille.
L’identification en bas âge
Cela étant posé, comment arriver à cerner les manifestations de pareils troubles ? « On les détecte de façon différente à des âges différents, car les signes varient de l’un à l’autre. En général, le dépistage s’effectue d’abord à l’oral avant l’entrée à l’école. » Une difficulté se pose alors : « C’est que vers l’âge de deux ans, si un enfant éprouve un retard de langage, il se peut très bien que dans l’année qui suit il rattrape celui-ci, ce qui se produit dans à peu près 50 % des cas. C’est très difficile dans une telle situation d’ambiguïté de savoir si on intervient ou pas. »
En aussi bas âge, il est donc inutile de s’affoler pour les parents : « Le plus souvent, on ne va pas commencer à traiter un enfant de deux ans ; on va plutôt le faire vers l’âge de trois ans quand se manifeste la persistance d’un trouble, mais il n’en demeure pas moins que l’orthophoniste peut au départ fournir des conseils de stimulation sur le plan de la lecture et des jeux de langage. »
La professeure énumère un certain nombre de signes qui, chez l’enfant, sont susceptibles de conduire plus tard à la conclusion d’un trouble après une longue et sérieuse évaluation : « Chez les très jeunes, il y a évidemment le fait de parler à un âge très tardif et d’arriver, par exemple, à prononcer les premiers mots seulement vers l’âge de 18 mois. Il y a la difficulté à comprendre des règles ou des instructions données à l’enfant. Il est possible d’observer de la frustration chez l’enfant qui essaye de communiquer et qui n’y arrive pas ; il peut faire des crises. Ceux-ci peuvent également éviter des situations où ils se retrouvent en difficulté et rester en retrait dans un tel cas. Il arrive de plus qu’ils soient incapables d’entrer en communication avec quelqu’un en dehors de la famille ; celle-ci est en quelque sorte devenue un interprète pour lui. »
Sur les bancs de l’école
Phaedra Royle apporte cette nuance avant d’entrer dans le vif du sujet une fois que l’enfant est parvenu au stade de la scolarisation : « Certains d’entre eux ont des difficultés à divers niveaux et il y en a chez qui elles sont beaucoup moins sévères que chez d’autres. Celles-ci ont, par exemple, tendance à être moins sévères chez les filles que chez les garçons ; en cas de trouble de langage, elles s’avèrent tout de même de bonnes communicatrices, elles arrivent à communiquer. »
Les difficultés surgissent plus tard : « Ce n’est qu’une fois rendus à l’école que les enfants se retrouvent avec des échecs répétés. Le contexte devient plus complexe parce qu’il y a quand même en classe un apprentissage qui est basé beaucoup sur le langage, sur un vocabulaire qui est plus spécifique, comme celui des mathématiques ou des sciences, par exemple. »
Il s’avère alors, selon elle, « qu’environ 30 % des enfants qui ont un trouble spécifique du langage ont aussi un trouble de type dyslexie, que l’orthophoniste sera en mesure de déceler à partir de la première année. » Ils rencontrent des écueils sur le plan de l’écrit qui sont communs à tous, mais qui sont plus accentués et systématiques chez eux, de telle sorte qu’il est nécessaire de recourir à l’orthophonie pour les surmonter. « Mais le travail s’effectue beaucoup plus à l’oral auparavant, pour asseoir leurs connaissances avant de passer à l’écrit. »
La rareté des services
Un dépistage précoce entraîne une prise en charge du même ordre, ce qui comporte des avantages : « Plus le trouble est dépisté tôt, plus l’orthophoniste peut intervenir vite, ce qui enclenche un processus de développement linguistique important. Il peut être mieux intégré dans le système scolaire si on pense qu’il y a un enfant par classe qui a un trouble de langage. S’il n’abandonne pas l’école, une intervention lui sert à développer son plein potentiel et, éventuellement, à avoir une meilleure participation à une vie sociale ; il y a donc des conséquences à toutes les étapes de l’existence. On n’est pas tous obligés de fréquenter l’université, mais on a besoin d’acquérir certaines connaissances pour pouvoir fonctionner en société. »
Avant même que surviennent les compressions en éducation, les enfants affectés par des troubles de langage étaient mal desservis, ce que déplore Mme Royle : « Une lettre publiée dans Le Soleil en 2014 parlait d’un an et demi d’attente pour obtenir des services en orthophonie. Si on pense qu’il faut une période de trois ans avant que l’enfant soit dépisté et si on ajoute une période d’un an et demi, celui-ci a déjà quatre ans et demi et il lui reste six mois avant la maternelle ; il reste peu de temps pour les interventions avant qu’il fréquente l’école. Il est certain que ce serait l’idéal d’offrir des services à partir de l’âge de trois ans ou de trois ans et demi. »
Elle brosse ce tableau plutôt sombre : « Dans les écoles, il n’y a pas en ce moment d’obligation d’offrir des services en orthophonie, et c’est également le cas dans le réseau de la santé ; c’est un choix que les gestionnaires font avec les fonds dont ils disposent. Il n’y a pas non plus de politique gouvernementale à cet égard. Les services se font rares et les enfants en subissent les conséquences. »
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