Les mutations peu consensuelles de l’éducation

La connexion, partout, tout le temps et maintenant au coeur de l’école. Pourquoi évaluer les élèves sur des questions auxquelles Google pourrait facilement répondre à leur place ? Une question lancée par le journaliste Fabien Deglise, qui a donné le ton au Devoir de débattre de mardi soir, qui s’attaquait à l’épineuse discussion autour du numérique en éducation.
Devant un public visiblement initié puisqu’il réagissait à des références pédagogiques plutôt précises, les quatre panélistes ont tenté de dépasser l’opposition technophobe-technophile qui émerge immanquablement lorsqu’il est question de numérique dans l’éducation.
« C’est incommensurable le monde de savoirs sur lequel ouvre le numérique », a commencé Lise Bissonnette, ex-directrice du Devoir, en retraçant brièvement l’histoire de la pédagogie au Québec. Prompte à adopter des réformes de l’éducation, la province a fait son chemin entre le paradigme de la fin de l’enseignant, cette métamorphose du rôle du « maître », puis celui du fameux « apprendre à apprendre » qui a mené au renouveau pédagogique, pour en être aujourd’hui à l’aube d’une révolution technologique à l’école. Et cette révolution sera bénéfique, à condition de « rediscipliner l’école, de la restructurer », a lancé Mme Bissonnette après avoir mis la table.
Rien de nouveau dans l’utilisation des « méthodes actives », par opposition à l’enseignement magistral, répétera-t-elle donc plus tard dans le débat. Mais justement, l’outil a changé. Et c’est là où les opinions divergent profondément. Ces outils technologiques, avec lesquels les enseignants semblent se débattre, font tantôt d’eux des « somnambules », selon les mots de Réjean Bergeron, tantôt des « guides » ou des « autorités des savoirs », pour Marie-Claude Gauthier.
C’est contre une fascination pour l’outil, contre une génuflexion devant le numérique, qu’a martelé M. Bergeron, professeur de philosophie au cégep Gérald-Godin. Il faut résister à cette tentation selon lui, car l’élève a besoin avant tout de connaissances, cette « matière vivante », pour se structurer.
Bien d’accord avec le fait que les nouvelles façons d’enseigner ne font pas de miracles, Mme Gauthier fonce quant à elle dans le numérique. « Il faut donner des orientations [aux étudiants], les obliger à laisser des traces, pour qu’ils ne se perdent pas et qu’ils deviennent paresseux », a renchéri cette professeure de français et cosignataire du Manifeste pour une pédagogie renouvelée.
Voir ses élèves assis devant une tablette ou un ordinateur comporte tous les écueils du « butinage numérique », ont poursuivi Mme Bissonnette et M. Bergeron. Raison de plus, de rétorquer Marie-Claude Gauthier : « Est-ce que ça signifie qu’on doive les laisser tomber ? C’est un devoir de leur apprendre à lire sur une tablette, qu’on le souhaite ou non. »
Le fait d’apprendre devant un écran représente sans doute un piège pour « ceux qui veulent en faire moins », mais c’est aussi « un moteur extraordinaire pour ceux qui veulent en faire plus », a tenu à ajouter Sylvain Carle, figure du Québec numérique (conseiller senior chez Twitter entre 2012 et 2014). Il est notamment directeur général de FounderFuel, un accélérateur d’entreprises en émergence. Ce dernier ainsisté sur l’aspect « bidirectionnel », sur cette « pédagogie de la contribution » au savoir qui pourrait être développé dans les salles de cours.
Et pendant ce temps, Le Devoir faisait aussi débattre sur Twitter. « Faut-il laisser la technologie aux seuls fabricants de technologie ? » déplorait David Dufresne, créateur du webdocumentaire Fort McMoney. Une autre mise en garde à considérer, dans la longue liste qui surgit quand il est question du numérique dans l’éducation.