Un réseau saigné à blanc

Hélène Roulot-Ganzmann Collaboration spéciale
« On verra bien, conclut la responsable au développement d’analyses et de stratégies du Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec (RGPAQ), Caroline Meunier. Peut-être qu’ils [les candidats aux élections fédérales] attendent la Journée internationale de l’alphabétisation, mardi [8 septembre], pour annoncer leurs mesures… »
Photo: Annik MH De Carufel Le Devoir « On verra bien, conclut la responsable au développement d’analyses et de stratégies du Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec (RGPAQ), Caroline Meunier. Peut-être qu’ils [les candidats aux élections fédérales] attendent la Journée internationale de l’alphabétisation, mardi [8 septembre], pour annoncer leurs mesures… »

Ce texte fait partie du cahier spécial Alphabétisation

Les organismes québécois oeuvrant en faveur de l’alphabétisation font face à deux types de compressions budgétaires : compressions directes de la part d’Ottawa, qui a entre autres mis fin il y a dix ans à un financement annuel de 5 millions de dollars ; compressions indirectes de la part de Québec, puisque les coupes dans les budgets des commissions scolaires auront nécessairement un impact sur l’éducation des adultes, les programmes de francisation et l’apprentissage de la lecture, croit l’ensemble du milieu.

« C’est catastrophique ce qui s’est passé ces dix dernières années au niveau du financement de notre réseau, lance Caroline Meunier,responsable au développement d’analyses et de stratégies du Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec (RGPAQ). Au niveau du fédéral, il y a un montant de l’ordre de 17,7 millions de dollars qui a été complètement coupé en 2006 et qu’on n’a jamais revu. Cinq millions pour le Québec. Ce ne sont pas des sommes faramineuses, mais c’est de l’argent qui servait pour des projets de sensibilisation, de recrutement et de recherche, pour le développement de matériel pédagogique, etc. Ça permettait de mieux comprendre la problématique et de sensibiliser les communautés. »

Car voilà le nerf de la guerre, selon les spécialistes du sujet : le recrutement et la sensibilisation. Rejoindre les personnes analphabètes ne sachant pas lire est un défi constant qui demande du temps, de l’énergie… et de l’argent.

« Or, à la suite des annonces faites par le gouvernement conservateur en 2006, nous avons réussi à trouver du financement pour une année, pas une de plus, poursuit Mme Meunier. Depuis 2008, c’est un véritable manque à gagner. »

Créé au début des années 1980, le RGPAQ offre de la formation aux organismes qui font partie de son réseau, aux travailleurs et aux bénévoles notamment. Jusqu’au milieu des années 2000, la moitié de son financement provenait des subventions allouées par le fédéral. Mais si le regroupement parvient encore à offrir malgré tout ses services, il n’en va pas de même pour d’autres acteurs du milieu. Deux organismes ont dû fermer leurs portes durant la dernière année, la BDAA, Base de données en alphabétisation des adultes, et le Center for literacy. Quant au Centre de documentation sur l’éducation des adultes et la condition féminine (CDEACF), il s’est vu dans l’obligation de réduire considérablement ses services depuis quelques semaines.

« Nous avons un financement du côté du fédéral qui a pris fin en juin 2014, mais nous avions des réserves, explique sa directrice générale, Geneviève Dorais-Beauregard, visiblement émue. Nous avons perdu 450 000 dollars, soit pratiquement la moitié de notre budget. Nous espérions beaucoup pouvoir aller rechercher cette somme du côté du provincial et de diverses fondations. Mais nous n’y sommes pas parvenus et nous avons donc dû nous résoudre à couper des services. Nous avons la chance de bénéficier d’une enveloppe récurrente provinciale, raison pour laquelle nous survivons. Mais d’autres organismes, tant au Québec que dans le reste du Canada, ont purement et simplement fermé dans la dernière année. »

Le financement coupé provenait du Bureau de l’alphabétisation et des compétences essentielles, qui existe toujours, mais qui réserve désormais ses subventions aux organismes oeuvrant directement en faveur de l’employabilité.

« Ça a commencé sous les libéraux, rappelle Christian Pelletier, coordonnateur du RGPAQ. Mais avec l’arrivée de M. Harper, il y a eu un véritable virage idéologique en faveur de l’emploi. Or, le retour à l’emploi, c’est effectivement une des dimensions de l’alphabétisation, mais c’est loin d’être la seule. Il y a des gens qui sont très éloignés du marché du travail, mais qui ont besoin de savoir lire. Parce qu’ils ont perdu un conjoint qui s’occupait de tout et qu’il faut maintenant qu’ils se débrouillent dans la vie, parce qu’ils ont un enfant qui rentre à l’école et qu’ils veulent pouvoir le suivre. Pour ceux-là, cette politique est véritablement désastreuse. »

D’autant que les sommes perdues au fédéral sont loin d’avoir été retrouvées ailleurs. Ni du côté de fondations, la concurrence entre les différentes causes étant très forte ; ni du côté du gouvernement provincial, austérité oblige.

« Nous travaillons fort avec le ministère depuis quelques années pour créer des maternelles 4 ans à temps plein en milieu défavorisé, explique Nathalie Morel, vice-présidente à la vie professionnelle à Fédération autonome de l’enseignement (FAE). L’idée est de faire en sorte que les petits issus de milieux où la stimulation par la lecture est moins courante qu’ailleurs puissent avoir une remise à niveau. Les dernières recherches arrivent toutes à la conclusion que l’approche par compétences est inadéquate pour les élèves les plus en difficulté. Il faudrait donc revoir tous les programmes de primaire pour revenir aux connaissances. Il faudrait aussi plus de services spécialisés pour détecter les problèmes plus tôt. Nos maternelles 4 ans, c’est bien. Mais ce n’est qu’un jalon pour lutter contre le décrochage et l’analphabétisme. »

Sur ce point, les syndicats s’entendent. Tous s’accordent à dire que les compressions dont est victime le réseau de l’éducation aujourd’hui auront certainement un impact sur le taux d’analphabétisme futur. Par manque de services pour les jeunes élèves. Mais aussi parce que les commissions scolaires prêtent souvent des locaux aux centres d’éducation des adultes. Ce qu’elles ne pourront plus faire, faute de moyens.

« Ça nous préoccupe beaucoup, admet Line Camerlain, vice-présidente de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ). Les politiques d’austérité fragilisent nos infrastructures éducatives et sociales, et ce sont les plus pauvres qui en paient le prix fort. »

« Et on n’a encore rien vu, ajoute Véronique de Sève, vice-présidente à la Confédération des syndicats nationaux (CSN). C’est à partir de cette année que nous allons réellement mesurer les impacts des compressions au provincial. C’est un problème que nous prenons très au sérieux. Car une personne qui ne sait pas lire, c’est un travailleur qui sera incapable de comprendre les consignes de sécurité dans l’entreprise. »

Quant à savoir s’il s’agit là d’un problème idéologique et si, en conséquence, l’arrivée d’un autre gouvernement à Ottawa pourrait changer la donne, rien n’est moins sûr. Selon les différents intervenants, aucun parti n’est véritablement conscientisé à la problématique.

« On verra bien, conclut Caroline Meunier. Peut-être qu’ils attendent la Journée internationale de l’alphabétisation, mardi, pour annoncer leurs mesures… »

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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