Un groupe de jeunes éthiciens appelle à la prudence

Distractions, paresse intellectuelle, dégradation des liens sociaux, banalisation du plagiat, diminution des capacités de mémorisation et possible dépendance à certaines technologies restrictives : l’introduction d’outils numériques dans les écoles du Québec n’est pas sans risques, estime un groupe de jeunes éthiciens qui appellent du coup à une introduction raisonnée de la technologie dans le système d’éducation, avec prudence et esprit critique.
Dans un avis d’une trentaine de pages intitulé L’éthique et les TIC [technologies de l’information et des communications] à l’école : un regard posé par des jeunes et dévoilé au début de la semaine, la section jeunesse de la Commission de l’éthique en science et en technologie (CEST-Jeunesse) reconnaît que la technologie est désormais ancrée dans le quotidien des jeunes du Québec et qu’elle impose par le fait même sa présence dans le monde de l’éducation. Ces outils ne devraient d’ailleurs pas voir bannir leur usage pédagogique, écrivent les auteurs, puisqu’ils rapprocheraient les jeunes de l’école et offriraient de nouvelles façons de lutter contre le décrochage scolaire. Mais leur entrée dans les salles de classe doit se faire avec précaution, ajoutent-ils, et ce, afin d’éviter les nombreux « effets indésirables » qui peuvent venir avec.
Nombreux écueils
Les écueils ne manquent pas, selon ce groupe de jeunes éthiciens qui craignent, entre autres choses, que la grande quantité d’information à laquelle les TIC donnent accès aux élèves n’encourage à la longue une « certaine paresse intellectuelle ». « Le simple accès facile, rapide et sans effort à l’information pourrait mener à accepter cette information telle quelle, à la retransmettre sans chercher à la comprendre », peut-on lire dans l’avis. Du coup, « l’élève doit apprendre plus que jamais à exercer son esprit critique pour aller au-delà de l’information et acquérir un réel savoir ».
La CEST-Jeunesse s’inquiète également de la déshumanisation des rapports sociaux induite par le numérique et qui, à la longue, pourrait avoir un « effet négatif sur le développement social des élèves » tout en participant à « une dégradation du lien humain entre les élèves et leurs enseignants ». Ces outils et les réseaux sociaux qu’ils animent pourraient également causer la perte d’une « distance nécessaire dans la relation entre enseignants et élèves » et un « recul de l’autorité de l’enseignant », craignent les auteurs du document.
« Cette réflexion sur la place de la technologie dans l’univers de l’éducation est très intéressante, commente à l’autre bout du fil Patrick Plante, chercheur en technologies éducatives et expert-conseil de la CEST-Jeunesse pour l’élaboration de cet avis. On pourrait croire que les jeunes ont une ouverture aveugle et sans limites à la technologie appliquée à l’éducation. Ici, ils sont plutôt capables de critiques et même d’un certain conservatisme en s’inquiétant des valeurs implantées dans le milieu scolaire par ces outils, qui ne sont pas neutres, des effets de cette technologie sur la mission des maisons d’éducation et des conséquences que cela peut avoir sur la société. »
Des recommandations
Dans son avis, la Commission de l’éthique en science et en technologie jeunesse — présidée par Charbel Abi-Saad, étudiant au collège Jean-de-Brébeuf —, à laquelle douze étudiants du Québec ont siégé, recommande d’ailleurs au ministre de l’Éducation de partager le même genre de préoccupation en commandant, à titre d’exemple, des « études rigoureuses permettant de démontrer l’efficacité pédagogique [d’une technologie] avant de procéder à [son] implantation », mais également en laissant entrer dans le monde de l’éducation des outils ne répondant pas à des phénomènes de mode et à des impératifs marchands, mais offrant plutôt une réelle « plus-value » pour l’élève et son accès au savoir.
Le groupe encourage également Québec et les décideurs des milieux scolaires à opter pour des technologies ouvertes, portées entre autres par le logiciel libre, mais également à favoriser le partage de ces technologies entre les établissements scolaires pour « atténuer les inégalités » et stimuler l’accès équitable aux nouveaux outils pédagogiques pour l’ensemble des élèves de la province.
Rendu public discrètement lundi, cet avis est le sixième de la section jeunesse de la CEST, qui, par le passé, s’est penché sur les enjeux éthiques liés au plagiat électronique, au neuromarketing, à la publicité, à la cyberintimidation ou encore aux soins de santé personnalisés. Dans son message introductif, la présidente de la Commission, Édith Deleury, espère que ce regard d’un groupe de jeunes éthiciens va « enrichir le débat qui a cours sur la place des technologies dans l’école de demain ».